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Le futur de l’impression 3D dans la construction – Interview de Bruno Linéatte, directeur R&D Modes Constructifs Bâtiment de Bouygues Construction

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Bouygues Bâtiment Grand Ouest s’est illustré récemment par la construction en impression 3D de « La Sphère », pavillon d’accueil d’un ensemble de logements sociaux, à Harfleur (76) pour Immobilière Basse Seine – groupe 3F. Quels sont les enjeux à venir de ce mode constructif innovant ? La réponse avec Bruno Linéatte, directeur R&D Modes Constructifs Bâtiment de Bouygues Construction.

Quelles sont les possibilités offertes aujourd’hui par l’impression 3D dans la construction ?

BL : L’impression 3D permet de construire sur mesure des ouvrages complexes, architecturalement spectaculaires, de manière compétitive. Ainsi, l’impression 3D ne remplace pas la construction traditionnelle : à mes yeux, elle n’est pas pertinente pour réaliser des choses simples et bon marché, que d’autres formes d’industrialisation seront plus à même de produire. Si l’on regarde l’aéronautique et l’automobile, qui ont dix ou quinze ans d’avance sur la construction en termes d’impression 3D, cette technologie n’est utilisée en production que pour réaliser des pièces généralement très complexes ou très légères, qui reviennent ainsi moins cher que d’autres méthodes de fabrication. La construction obéit à la même règle. Pour construire en impression 3D, les techniques disponibles consistent principalement à de l’addition par dépôt de matière. Un bras robotique, ou une imprimante matricielle basée sur un portique cartésien, dépose de la matière couche par couche. Cette matière est le plus souvent constituée de béton ou de mortier spécifique. Certains autres acteurs, comme l’université de Nantes ou le M.I.T. basent leur technologie sur du dépôt de polyuréthane, à la fois comme coffrage pour couler du béton, et qui reste en place par la suite pour assurer l’isolation. Il existe aussi d’autres techniques, comme l’injection d’un liant dans de la poudre, qui n’ont pas encore donné les résultats escomptés.

Quels exemples de réalisation concrétisent ce nouveau mode constructif ?

BL : Il existe de nombreux exemples expérimentaux ou à visée démonstrative dans le monde, d’une part dans les universités, et d’autre part portés par des entreprises de construction. Les exemples commercialement viables sont beaucoup plus rares. L’impression en 3D sur chantier est d’ailleurs généralement la solution la plus médiatisée, alors que le modèle de construction hors site, donc en usine, est vraisemblablement plus efficace. Il est d’ailleurs quantitativement un peu plus fréquent que la version sur site. La première grande démonstration médiatique a eu lieu en Chine en 2014 lorsque l’entreprise Winsun a construit une série de cubes de logements imprimés en 3D en usine. Plus près de nous, la France n’est pas en reste : ainsi, l’Université de Nantes a construit avec Bouygues Bâtiment Grand Ouest « Yhnova », imprimée en polyuréthane par un robot 7 axes, pour Nantes Métropole Habitat, en 2017. C’était la première maison imprimée réellement habitée au monde. A Harfleur, nous avons construit le mois dernier « La Sphère » avec la startup Hollandaise CyBe et leur robot 7 axes. Il s’agit du pavillon d’accueil d’une résidence, dont les murs ont été imprimés sur site, en béton. Ce projet permet d’esquisser l’espoir que l’impression 3D permette d’économiser de la matière pour répondre aux enjeux environnementaux : Sur ce projet, on a utilisé environ 30% de béton en moins que sur une construction traditionnelle de forme identique en imprimant des surfaces très minces. D’autres acteurs avancent aussi sur le sujet : sur le projet de « Villaprint » pour Plurial Novilia, Xtreee s’apprête à imprimer en usine des éléments de murs béton destinés à cinq logements individuels en bande. Ces trois exemples constituent les seuls bâtiments en France, majoritairement imprimés en 3D, et financés par un client non-fabricant. Ces clients ont souhaité investir pour marquer l’histoire de la construction et participer aux progrès techniques, en assumant un coût à la construction, qui pourra être réduit à l’avenir. Les constructions pour lesquelles l’impression 3D pourrait être rentable à court terme sont les ouvrages complexes, pour lesquels la construction traditionnelle nécessiterait des coffrages très onéreux.

Quel pourrait être le futur de l’impression 3D dans la construction ?

BL : À court terme, le futur de l’impression 3D nécessite que des maîtres d’ouvrages et des architectes aient la volonté de pousser ce marché balbutiant. Cela passe par des propositions à forte créativité, pas seulement formelle, mais aussi fonctionnelle. La balle est dans le camp de concepteurs pionniers, pour donner à nos bâtiments et à nos ouvrages des fonctions nouvelles qui sont permises par des formes moins carrées. Lorsqu’on sera rassuré sur la fiabilité de l’impression 3D dans la construction, on pourra se dire que l’on construit depuis longtemps des rectangles, car ces formes très rationnelles convenaient aux modes constructifs comme lepoteau poutre, mais qu’on peut désormais aller plus loin. Si l’on cherche des usages thérapeutiques, sémiologiques, biomimétiques, de nouvelles formes apportent peut-être de nouvelles possibilités rendues abordables par l’impression 3D. Pour bien vieillir chez soi par exemple, on pourrait bénéficier un jour de formes plus accueillantes, avec moins d’angles droits, de logements plus inclusifs… L’impression 3D est plus à même de répondre à ces exigences. Le futur de l’impression 3D pourrait aussi se trouver dans les travaux publics, où la rapidité de l’intervention est cruciale. Parfois, remplacer des ouvrages d’égouts complexes peut nécessiter d’immobiliser la voirie pendant une longue durée afin de reproduire la pièce nécessaire : l’impression 3D pourrait permettre de réaliser ces ouvrages en un temps record. Pour la société, ce sont des travaux moins longs, moins de nuisances… Le coût que représente pour la collectivité la coupure de la chaussée pendant un temps plus long sera supérieur au surcoût de l’impression 3D. Enfin, pour revenir au bâtiment, je pense que dans un premier temps, l’impression 3D concernera principalement des éléments plutôt que des bâtiments entiers. On pourrait imaginer que certains éléments structuraux aient par la suite une forme qui optimise la quantité de matière utilisée. Cette forme, complexe à réaliser avec des méthodes traditionnelles sera alors réalisée par impression 3D. Cette technologie pourrait également répondre à d’autres problématiques, comme la raréfaction de la main d’œuvre hautement qualifiée, en particulier pour certains métiers très spécialisés.. Notons par ailleurs que dans le cas qui nous intéresse ici, la machine assume des tâches qui sont parmi les plus pénibles. Enfin en termes d’effectifs, notons que l’impression 3D demande elle-même pour le moment encore beaucoup de main d’œuvre autour du robot !   RESPECTONS LES GESTES BARRIÈRES. Les photos de cet article ont été prises avant la mise en place des mesures sanitaires Covid-19.