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L’autonomie, du bâtiment au territoire

Par Anne Borrel,

29 Mars 2022

À elles deux, la crise du Covid-19 et l’urgence climatique montrent la nécessité de relocaliser les services vitaux comme la santé, l’alimentation, l’énergie. La nécessité également de préserver l’eau, pour assurer l’autonomie des uns et des autres. Il s’agit d’un nouveau paradigme, qui impose une coopération à tous les étages.

Pâtes, riz, papier hygiénique… Alors que le premier confinement n’avait pas encore débuté en France en mars 2020, les rayons des grandes surfaces étaient pris d’assaut, obligeant le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire à appeler au civisme. « Il n’y aura pas de pénurie », assurait-il. Quelques semaines plus tard, alors que les bourses des produits agricoles s’étaient envolées d’environ 10%, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), prévenaient d’un risque croissant de pénurie alimentaire mondiale. Notamment en cause : les mesures protectionnistes prises par certains Etats, les difficultés de transport…

"Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française."

‐ Emmanuel Macron, président de la République française, le 13 avril 2020.

 

En Ile-de-France par exemple, près de la moitié des territoires sont consacrés à l’agriculture mais 90% des produits alimentaires consommés sont importés, selon l’ADEME. Et c’est encore bien pire pour les seules villes. « Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française », soulignait le 13 avril 2020, le Président Emmanuel Macron.

Si la crise de la Covid a relancé le débat de l’autonomie alimentaire, l’autonomie énergétique est elle aussi sur le devant de la scène, sur fond d’augmentation du prix du gaz et du pétrole, d’une raréfaction à venir de ces ressources, et de la nécessité urgente de transition imposée par la crise climatique. Sans parler du vieillissement des installations actuelles. En France, l’arrêt à l’entrée de cet hiver pour maintenance de moult réacteurs nucléaires a ravivé les craintes de blackout en cas de grand froid. De leur côté, la multiplication des sécheresses et les pollutions mettent de plus en plus la pression sur la disponibilité en eau et la nécessité de protéger cette ressource vitale et de l’économiser…

Pas de doute : pour plus de résilience face aux risques d’éventuelles instabilités et crises, l’heure est à la recherche de plus d’autonomie. Locale. En énergie, en eau, en alimentation…

C’est particulièrement vrai dans l’architecture, le bâtiment, l’urbanisme, l’aménagement du territoire… Mais autonomie ne veut pas forcément dire autosuffisance, voire autarcie. « L’autarcie définit d’abord l’indépendance matérielle, c’est le régime économique de l’autosuffisance (…), le régime économique d’une collectivité qui se suffit à elle-même », explique Fanny Lopez, docteur en histoire de l’architecture, experte en autonomie énergétique. L’autonomie possède, elle, « une dimension politique » et fait avant tout référence à « un processus d’autonomisation », consistant à se réapproprier la capacité à se régir par ses propres lois.

Si l’histoire regorge de rêves d’autosuffisance, comme le note la chercheuse, le concept d’autonomie, et notamment d’autonomie énergétique, a pris de l’ampleur à la fin du XXème siècle, à la faveur des considérations écologiques, avec en tête le réchauffement planétaire. A la simple envie ou possibilité de vivre au moins en partie en autoconsommation individuelle voire collective, s’est ajoutée la volonté du législateur d’établir des projections pour la transition écologique. Ainsi, la loi pour la croissance verte de 2015 a encouragé les projets d’autonomie énergétique tandis que la loi Climat et résilience de 2021 soutient le développement des communautés d’énergie renouvelable et des communautés énergétiques citoyennes.

De son côté, l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) se décline notamment au niveau local par les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Ces plans doivent de plus en plus s’imposer dans l’aménagement du territoire, notamment à travers les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), de concert avec les politiques liées notamment à l’eau et à l’alimentation, et avec un développement massif des énergies renouvelables : solaire photovoltaïque et thermique, éolien, hydroélectricité, biomasse, géothermie, méthanisation, énergies marines…

Dans les différents scénarios à horizon 2050 de RTE, de l’ADEME ou encore de l’association NégaWatt, la part de ces énergies dans le mix électrique français est en effet estimée entre 50 à 100%, contre environ un quart actuellement.

Dans un tel contexte, les initiatives, déjà nombreuses, se multiplieront encore. Pour rendre de plus en plus autonomes des habitations individuelles ou collectives, des immeubles de bureaux, des quartiers, des villes, des territoires… Et les collectivités devront renforcer les coopérations, en leur sein et avec d’autres collectivités, pour accélérer et massifier cette relocalisation de l’énergie, de l’alimentation, garante de leur autonomie, de celle de leurs habitants, de leurs activités…. Où en est-on aujourd’hui ?

Du bâtiment au territoire, des volontés d'autonomie

Qu’il s’agisse de maisons, d’immeubles de bureaux ou d’habitations, d’îles, de petites villes ou encore de territoires volontaires, les initiatives visant à l’autonomie énergétique, en eau ou encore alimentaire se multiplient, s’évaluent. Et servent d’exemples.

Ouvertures au sud pour profiter du soleil l’hiver et s’en protéger l’été avec une véranda en zone tampon et des végétaux à feuilles caduques ; façade nord dénuée d’ouverture avec garage, buanderie, placards et local à poubelles, plus des végétaux persistants pour amoindrir l’effet des vents froids ; construction éventuellement semi-enterrée pour limiter les variations de température ; isolation par l’extérieur avec ossature bois, ventilation par VMC ou puits naturel ; murs capables de stocker et de restituer progressivement la chaleur ; matériaux biosourcés… Un tel concept de maison individuelle passive est bien connu. Si l’on y ajoute un poêle à bois ainsi que des panneaux solaires photovoltaïques et thermiques, ou hybrides, elle devient même « positive », en offrant autonomie énergétique et eau chaude.

En Suisse, dans le village de Villarzel, au sein du canton de Vaud, le bureau Lutz architectes va plus loin. Dans une maison comprenant deux logements, il vise également l’autonomie en eau. « Une cuve de récupération d’eau de pluie de 10 000 litres fournit l’eau potable, alimente le lave-linge et sert à l’arrosage du jardin », assure-t-il, en veillant que les matériaux du toit ne polluent pas cette eau lors de son ruissellement. Pour limiter les besoins, la maison est équipée de toilettes sèches « à séparation d’urine ». Filtrée pour éliminer les micropolluants (substances issues de médicaments, cosmétiques…), l’urine sert ensuite d’engrais. Les excréments sont eux « transformés en compost par des lombrics » tandis que les autres eaux usées sont filtrées et dépolluées par des plantes dans un bassin de phytoépuration. Objectif : utiliser de l’eau plus ou moins en circuit fermé. Un concept qui favorise de surcroît la culture d’un jardin.

Bureaux, habitations… Des immeubles autonomes

A ce jour, sur de plus grands bâtiments, les architectes et bâtisseurs visent d’abord l’autonomie énergétique. Ainsi, à Saint-Herblain, le promoteur Galeo a inauguré en 2017 le premier bâtiment de bureaux « à énergie positive en France, tous usages » : Delta Green qui abrite 4600 m2 de bureaux. Secrets de fabrication : une conception limitant les besoins ; une quantité d’énergie produite supérieure à ses besoins grâce à des panneaux photovoltaïques et à un système de chauffage/rafraichissement sur sondes géothermiques et par géocooling (technologies utilisant la température du sous-sol) ; une station d’hydrogène – première en France pour un tel bâtiment – pour stocker l’excédent d’énergie quand il y a beaucoup de soleil ; et une sensibilisation des occupants pour les rendre acteurs de la sobriété énergétique.

Les utilisateurs sont également qualifiés d’ »acteurs majeurs » dans un autre bâtiment, à usage d’habitation pour sa part, et qui constitue lui aussi une première en France : ABC, comme Autonomous Building for Citizen. Un ensemble de 5000 M2 de surface de plancher comprenant deux immeubles pour 62 logements locatifs. Implanté à Grenoble, conçu par la R&D de Bouygues Construction, réalisé par les équipes de Bouygues Bâtiment Sud-Est et Linkcity, développé avec Suez et Valode & Pistre architectes, et ayant nécessité des dérogations à l’actuelle réglementation, ABC capte les rayons solaires et récupère l’eau de pluie… Un peu comme un arbre.

Ici, près de 700 panneaux solaires installés en toitures pour plus de 1100 M2 de surface doivent assurer 70% d’autonomie en énergie, aidés par un système de stockage dans les batteries des radiateurs, d’un système de pompe à chaleur permettant de valoriser la chaleur récupérée des eaux grises issues des douches et des cuisines. Des équipements électroménagers classés A+++ et des luminaires à LED complète le dispositif.

Côté eau, une centrale de traitement de l’eau pilotée par Suez a été installée à l’intérieur même du bâtiment. Collectée, l’eau de pluie est rendue potable et alimente tous les équipements des logements. Certains appartements sont même équipés de douches à recyclage qui permettent de faire circuler une partie de l’eau en boucle fermée. Les eaux grises, faiblement polluées, sont récupérées et traitées pour être réutilisées dans les toilettes et l’arrosage des plantes. Toutes ces innovations doivent permettre de diviser par trois la consommation d’eau issue du réseau de la ville.

Les déchets ne sont pas oubliés, les habitants les trient et les valorisent par le compostage utile aux jardins. Idem pour la mobilité douce avec un emplacement par habitant dans les locaux à vélos. Idem encore pour le bien-être et l’échange entre habitants avec des espaces communs délibérément généreux, et bien sûr des jardins partagés.
Les premiers locataires sont rentrés dans les lieux à l’été 2020 et c’est à tous ces niveaux d’objectif de sobriété qu’ils font figure d’ »acteurs majeurs » pour les initiateurs d’ABC… Le suivi des performances d’ABC Grenoble, pouvant devenir pour Bouygues Construction « le numéro 1 d’une longue série », est prévu sur cinq ans.

 

Des projets pour demain

A l’instar d’une forêt, un immeuble peut même être imaginé comme nourricier afin de s’engager vers l’autonomie alimentaire en plus de produire de l’énergie et de récolter de l’eau de pluie. C’est le cas de l’Arboricole de l’architecte Vincent Callebaut, un édifice futuriste végétalisé d’une cinquantaine d’appartements « modulables », fourmillant de balcons sur 9400 m2 de surface, avec jusqu’à 20 000 plantes, « semblable à un écosystème » et devant améliorer « le bien-être des citadins et l’économie en énergie de villes toujours plus urbanisées ». Tout en absorbant du CO2 et en produisant de l’oxygène. Conçu dans le cadre d »Imagine Angers », appel à projets urbains de cette ville, il a remporté en 2018 un vote du public, mais sans être retenu. Une prochaine fois ?

Encore plus ambitieux, le gouvernement chinois a de son côté lancé un concours international pour la réalisation d’un quartier autonome en énergie et en alimentation dans la nouvelle ville de Xiong’an, située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Pékin, pour 3000 habitants. Le cabinet espagnol Guallart Architects a remporté cette mission avec un projet qui intègre les risques qui sont apparus lors de la crise sanitaire. Serres recouvrant l’ensemble des bâtiments, panneaux solaires sur les toits des serres, récupérateurs d’eau, bâtiment en bois « durable », espaces verts, mais aussi mini usines avec imprimantes 3 D, appartements avec 5G et terrasses pensées pour faciliter le télétravail, multiples services accessibles à pied (école, garderies, ferme, marché, commerce, administrations) …

« Notre proposition découle de la nécessité d’apporter des solutions aux différentes crises qui se produisent, afin de créer une nouvelle vie urbaine basée sur la bio-économie circulaire », a confié l’architecte Vincente Guallart à Reuters. « La prochaine révolution urbaine sera en rapport avec la réindustrialisation digitale des villes ».

Ancien conseiller environnemental de Barack Obama, le scientifique James Ehrlich a même imaginé, avec le bureau d’architectes danois Effekt, et sous forme de programme informatique qui utilise intelligence artificielle et algorithmes, des villages autarciques, les ReGen villages. Avec des murs de chanvre et des toits de verre, les maisons multigénérationnelles y abritent des habitants qui produisent leur énergie, développent des cultures aquaponiques, recyclent leurs déchets. Une première application, attendue en 2019 à Almere, au Pays-Bas, avec quelque 600 familles, n’a finalement pas vu le jour.

 

Petites villes et territoires en exemples

En attendant, de petites villes ou petits territoires tendent à devenir de plus en plus autonomes. Territoires strictement définis et souvent très fortement dépendants du fioul, les îles formes des entités propices aux désirs d’autonomie. Aux Canaries, El Hierro a été citée en exemple dès 2014 pour sa centrale hydro-éolienne qui lui permet de réduire significativement cette dépendance. Le concept consiste à coupler l’énergie éolienne avec une station de transfert d’énergie par pompage (STEP), qui se compose d’un bassin en hauteur et d’un autre en contrebas. Le principe est de pomper l’eau du bas vers le bassin supérieur quand il y a un surplus de production électrique -ce qui revient à stocker l’énergie- puis à la faire redescendre en la turbinant au gré des besoins. Un système analogue a été inauguré en 2019 sur la petite île grecque de la Mer Egée, Ikaria. Dans le Finistère, c’est grâce au photovoltaïque, à l’éolien et également à l’hydrolien pour Ouessant (énergie utilisant les courants marins) que les îles du Ponant espèrent l’autonomie énergétique à horizon 2030.

Mais il n’y a pas que les îles. En Autriche, Güssing et ses 4000 habitants à l’est du pays, sont, depuis les années 2000, un exemple international en matière d’énergie renouvelable et d’autonomie locale. Les élus y ont mis en place un plan énergétique pour remplacer les énergies fossiles par la biomasse (notamment les nombreux déchets de l’exploitation forestière et des plantes) et avec également des installations solaires thermiques et photovoltaïques. Ce à quoi s’est ajoutée une nouvelle technologie permettant de gazéifier le bois pour produire à la fois de la chaleur, de l’électricité et du gaz de synthèse. Güssing a fait des émules, par exemple en France, dans les Côtes d’Armor, où la communauté de communes du Mené a pour objectif l’autonomie énergétique de son territoire. Maisons passives, méthanisation, chaudière à bois, solaire, éolien… Le Mené, 6500 habitants, produit désormais quasiment toute son électricité et vise l’autonomie énergétique à l’horizon 2025.

A Mouans-Sartoux, près de Cannes, c’est davantage d’autonomie alimentaire que vise la collectivité. Après avoir créé une régie municipale agricole, dispositif inédit en France et qui a permis d’avoir des agriculteurs salariés municipaux pour alimenter crèches et écoles, la commune a mis en place un Projet alimentaire territorial (PAT), plan initié et labellisé par le ministère de l’Agriculture. Objectifs : réinstaller des agriculteurs sur la commune, créer des échanges économiques, développer une éducation à l’alimentation, contribuer à la recherche, partager avec d’autres collectivités les différentes actions…

Autant d’exemples pour les grandes métropoles qui, vu leurs consommations énergétique et alimentaire et malgré des objectifs qui peuvent également être ambitieux, auront d’autant plus de mal à assurer leur autonomie qu’elles sont urbanisées et peuplée. Leur impératif : coopérer.

Des facteurs de succès pour plus d'autonomie

Technologies, gouvernance, coopération, connaissance des interdépendances, partage de compétence, stratégie commune, échanges « gagnant-gagnant »…

Autant de mots clés pour renforcer la relocalisation de l’énergie, de l’alimentation… Et concrétiser les désirs d’autonomie locale.

« Le devenir énergétique urbain et territorial est en pleine reconfiguration ». Pour Fanny Lopez, docteur en histoire de l’architecture, experte en autonomie énergétique, la transition qui naît relève bien d’un « chantier immense ». En effet, en prévoyant un développement massif des énergies renouvelables, cette transition impose à la fois la variabilité de sources d’énergie comme le solaire et l’éolien et une relocalisation d’un secteur électrique aujourd’hui très centralisé, tant au niveau de la production, principalement assurée par d’importantes centrales et EDF, que de la transformation, dédiée à RTE, et de sa distribution, terrain d’Enedis.

Ainsi, un bâtiment qui produit de l’électricité avec simplement des panneaux photovoltaïques par exemple, alterne les moments où il ne produit rien parce qu’il n’y a pas assez de luminosité et les moments où il peut éventuellement fournir plus de courant que ses besoins, du fait de ses capacités de production et de l’ensoleillement. La solution est dans ce cas de rester connecté au réseau principal qui pallie les arrêts de production et permet d’injecter les potentiels surplus. Les contrats d’autoconsommation et de revente qui sont signés avec les opérateurs fonctionnent sur ce principe.

L’hydrogène, solution d’avenir ?

Pour être autonome en énergie renouvelable, un immeuble doit bien sûr posséder une puissance installée suffisante, mais cela ne suffit pas car l’électricité ne peut pas être directement stockée. Elle doit être transformée en une autre énergie qui sera retransformée en électricité lors de son utilisation. Dans un bâtiment, ce stockage est actuellement le plus souvent électrochimique, avec des batteries. Néanmoins, il existe d’autres possibilités, dont le stockage chimique. L’électricité excédentaire est alors transformée en hydrogène par électrolyse de l’eau. C’est la solution qu’applique l’immeuble de bureau Delta Green à Saint-Herblain (Loire-Atlantique).

L’hydrogène peut ensuite être stocké dans des piles à combustible, qui conservent l’énergie plus longtemps que des batteries et qui produisent à la fois de l’électricité et de la chaleur. Il peut également être utilisé comme carburant. Ou bien être injecté, sous conditions, dans les conduites de gaz. Sans oublier qu’il existe désormais des chaudières 100% hydrogène. Au Japon, déjà plusieurs centaines de milliers de logements sont équipés d’installations à hydrogène.

Micro-réseau et grand réseau

Outre les problématiques liées aux technologies, la question réglementaire conditionne elle aussi le niveau d’autonomie que peut atteindre l’habitat. Aux Etats-Unis, où la distribution d’énergie est libéralisée, des quartiers entiers sont conçus pour pouvoir être déconnectés du réseau principal, à l’instar de « dispositifs de secours », selon Fanny Lopez. A New-York, un micro-réseau privé indépendant permet d’alimenter Hudson Yards, plus grand projet immobilier des Etats-Unis, mais sans grand objectif de sobriété. Dans le Bronx, c’est une coopérative résidentielle qui alimente des milliers de logements. Actuellement en France, « il n’y a aucun réseau électrique privé résidentiel déconnecté », précise la chercheuse.

"L’ensemble des acteurs du territoire, publics et privés, doit se mobiliser, se structurer et coconstruire les filières professionnelles qui permettront aux nombreux projets déjà en germe d’aboutir."

‐ Nicolas Mayer-Rossignol, président de la Métropole Rouen Normandie ; et Marie Atinault, vice-présidente en charge des transitions et innovations écologiques.

 

Comme a pu le constater Gervais Lesage, consultant en innovations numériques et énergétiques des territoires, qui a développé des opérations d’autonomie énergétique avec la commune du Perray-en-Yvelines, 7000 habitants, les projets d’autoconsommation collective, encore considérés « comme des prototypes », sont « limitées en surface et en puissance », et taxées.

Question : avec la massification envisagée des projets d’énergie renouvelable, ne faudra-il pas un jour « inverser la hiérarchie historique du système électrique », comme l’interroge Fanny Lopez, et consommer en priorité ce que l’on produit, le grand réseau devenant système de secours ? François-Mathieu Poupeau, directeur de recherche au CNRS et du Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS) a montré que, si le modèle centralisé d’interconnexion s’est imposé lors de la nationalisation d’EDF après la 2ème guerre mondiale, les discussions d’alors ont également fait apparaître des visions décentralisées, avec un plus grand rôle pour les pouvoirs locaux. La « gouvernance de l’énergie » apparaît ainsi « centrale » aux acteurs.

Pas d’autonomie sans coopération

Au niveau local, la coopération se montre quant à elle indispensable dans la réussite des projets visant à plus d’autonomie, C’est le cas au niveau des bâtiments d’habitation collective où l’importance des usagers et de leurs comportements est mise en avant par les gestionnaires pour éviter les « décalages » entre les ambitions et la réalité. Un point sur lequel le démonstrateur ABC à Grenoble met l’accent.

Mais c’est le cas également au sein des collectivités qui se lancent dans de tels projets. Exemple à Amiens où la Ville et la Métropole se sont engagées en 2019 à être « la première agglomération » de cette taille à produire autant d’énergie qu’elle n’en consomme à l’horizon 2050. Pour parvenir à cet objectif baptisé « Amiens Energy Summit », la capitale picarde entend notamment s’appuyer sur les laboratoires implantés ici et qui travaillent dans le secteur du stockage d’énergie. Elles ont créé, avec le CHU, l’Université de Picardie Jules Verne et la Chambre de commerce et d’industrie du territoire, un cluster d’autonomie énergétique, Energia, dont l’ambition est de chapeauter ce projet.

Même besoin de rassembler à Rouen où la métropole vise un territoire 100% énergies renouvelables. « Cet objectif ambitieux ne pourra être atteint que si l’ensemble des acteurs du territoire, publics et privés, se mobilisent, se structurent et coconstruisent les filières professionnelles qui permettront aux nombreux projets déjà en germe d’aboutir », soulignent Nicolas Mayer-Rossignol, président de la Métropole Rouen Normandie et Marie Atinault, vice-présidente en charge des transitions et innovations écologiques. Pour faciliter les choses, la métropole a mis en place en 2022 un « service public de la transition énergétique » intitulé « Énergie Métropole Rouen Normandie », pour « l’ensemble des habitants et structures du territoire ».

Des coopérations territoriales et interterritoriales

Vu la consommation d’énergie au sein de son territoire urbain et industrialisé, la métropole de Rouen sait également qu’elle ne peut pas viser l’autonomie énergétique. Elle a inclus dans son Plan climat-air-énergie territorial la nécessité de développer les coopérations interterritoriales. La production d’énergies décarbonées et biosourcées est un axe stratégique du Territoire d’industrie de l’axe Seine qui rassemble en Normandie la métropole Rouen Normandie, Le Havre Seine Métropole, Caux Seine Agglo, Évreux Portes de Normandie, Seine Normandie Agglomération, la communauté d’agglomération Seine-Eure et la communauté de communes Lyons Andelle. Sur un territoire encore plus large, la Métropole Rouen Normandie, le Havre Seine Métropole, la Ville de Paris et la Métropole Grand Paris ont décidé, en février, de créer une société d’économie mixte (SEM), Axe Seine Energies Renouvelables (ASER) « afin d’accélérer la transition énergétique » pour les « projets d’ampleur territoriale ».

D’autres projets de coopérations interterritoriales se développent encore, comme dans l’Hérault où un contrat de réciprocité « Ville-Montagne » entre Montpellier Méditerranée Métropole et la communauté de communes des Monts de Lacaune et de la Montagne du Haut Languedoc a pour objet de renforcer les interactions entre les besoins des particuliers, entreprises et acteurs publics de la métropole et des environs et les ressources en bois de la communauté de communes pour la construction bois, le bois-énergie…

Ou encore en Loire-Atlantique, où Nantes Métropole dispose de plusieurs installations de traitement des déchets sur son territoire alors que Saint-Nazaire agglomération n’en avait pas assez. Les deux collectivités ont signé un contrat de délégation de service public (DSP) conjointe pour que Saint-Nazaire puisse travailler avec l’un des centres de traitement « nantais », à Couëron.

Des facteurs de succès

Très loin des oppositions villes – campagnes qui émaillent l’actualité ces dernières années, des travaux initiés par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avec France urbaine et l’Assemblée des communautés de France (AdCF), ont permis de « concrétiser la plus-value » de telles coopérations territoriales pour « répondre à des enjeux d’échelles, de filières ou encore de mutualisation », notamment en ce qui concerne l’énergie, l’alimentation, les déchets… Elle a également déterminé des facteurs de réussite : connaissance des interdépendances entre collectivités, partage de compétences, vision stratégique, espaces de gouvernance, financements spécifiques, etc. Et avec des initiatives pouvant servir d’exemples.

Connaissance des interdépendances et partage de compétences
Après que l’agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours eut mené un travail de qualification des interdépendances à l’échelle de dix établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d’Indre-et-Loire dont Tours métropole Val de Loire, les présidents de ces collectivités ont identifié six axes de coopération prioritaires dont l’agriculture, les déchets et l’énergie. Avec des contrats de réciprocité à la clé, établi avec l’appui de l’agence d’urbanisme.

Vision stratégique
Afin de progresser dans l’analyse de leur stratégie, dix-neuf EPCI de l’Ouest Breton, dont Brest métropole, ont coopéré pour verser une contribution commune au Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et au projet de territoire régional « Breizh COP », grand projet de territoire désirant maîtriser et accélérer la mise en œuvre des transitions écologique, climatique, économique, sociétale…

Gouvernance
Une association de dialogue interterritorial rassemble depuis 2013, afin d’établir des relations équilibrées, Toulouse Métropole et les collectivités alentours : communauté de communes Cœur et Coteaux du Comminges, communautés d’agglomération de l’Albigeois, du Grand Auch, du Grand Cahors, de Carcassonne Agglo, de Castres-Mazamet, du Pays de Foix – Varilhes, du Grand Montauban, du Sicoval, de Tarbes Lourdes Pyrénées, et avec également la Région Occitanie comme membre associé. L’occasion de mettre en réseau partage d’expériences, bonnes pratiques, connaissances, méthodologies.

Financements spécifiques
Logements, aménités… Le développement des métropoles est dépendant de leur périphérie tout comme il lui bénéficie (emplois, revenus…). A Toulouse, cette interdépendance donne lieu à des « compensations » et des « transactions » qui ne sont pas financières mais « politiques et stratégiques ». En guise de « compensation », la métropole peut reconstituer des terres agricoles chez un voisin pour compenser une artificialisation de sols chez elle. En guise de « transactions », elle a par exemple signé un contrat de réciprocité avec le pays des Portes de Gascogne, regroupant des communes du Gers. Les agriculteurs bio gersois alimentent ainsi la restauration collective des écoles de Toulouse, avec plus de 80 000 repas chaque jour.

Agence Nationale de Cohésion des Territoires : des fabriques à idées

Conseillant et soutenant les collectivités territoriales et leurs groupements dans la conception, la définition et la mise en œuvre de leurs projets, l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires développe un concept de « fabriques prospectives » pour renforcer la coopération entre métropoles et territoires environnants. Notamment dans les domaines de l’énergie et de l’alimentation.

Interview d’Annabelle Boutet, cheffe du pôle Prospective, Veille et Innovation de l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT)

 

La coopération entre métropoles et territoires environnant était le thème d’une des premières « fabriques prospectives », dispositif pilote par le pôle que vous dirigez à l’ANCT. Avant d’évoquer cette Fabrique en particulier, pouvez-vous nous rappeler la finalités des fabriques ?

Annabelle Boutet (A.B.) : Nous avons lancé nos premières Fabriques prospectives en 2018 alors que nous étions au Commissariat Général à l’Égalité des Territoires (le CGET). L’idée de départ était assez simple : relancer l’activité prospective héritée de la DATAR, fusionnée avec l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) et le secrétaire général du comité interministériel des villes (SG-CIV) en 2014 pour former le CGET.

Il ne s’agissait pas de le faire en mode think tank avec des experts mais d’élaborer, au sein de différentes « Fabriques » d’un an, des réflexions prospectives, sur un thème donné pour chacune d’elles. Il fallait également croiser les enseignements de ces Fabriques pour en tirer des enseignements nationaux. Nous renversions donc la façon de travailler : faire d’abord avec les acteurs de terrain.
Chaque Fabrique est coconstruite avec une association d’élus (Intercommunalités de France – AdCF, France urbaine, Association des maires de France, Villes de France…). Nous accompagnons des groupes de quatre territoires dans des réflexions prospectives qui se traduisent à l’issue de la Fabrique par un programme d’action adapté à chacun.

De plus, depuis 2019, chaque Fabrique est articulée avec l’un des programmes de l’Agence : Action cœur de villes, Petites villes de demain, Territoire d’Industrie, etc. Il s’agit donc aussi de nourrir les programmes de l’ANCT.

Quel est le rôle du pôle Prospective, veille et innovation dont vous êtes cheffe ?

Notre rôle est d’élaborer le cahier des charges de chaque Fabrique. Il comprend un thème, une transition (transition écologique, économique, démographique, ou de l’action publique), une hypothèse et des axes de travail. Nous constituons également pour chacune un comité de pilotage spécifique réunissant a minima une association d’élus et un programme de l’ANCT.

Selon les sujets, nous associons des ministères, des opérateurs de l’Etat, des chercheurs… Et nous recrutons un prestataire pour accompagner pendant un an les séminaires : quatre séminaires de travail dans chacun des quatre territoires et quatre séminaires intersites, soit une vingtaine de séminaires au total.

Chaque commune ou EPCI qu’on accompagne forme son groupe de travail local de quinze à vingt personnes avec les acteurs de son choix (élus, agents, entreprises, commerçants, industriels, habitants, associations…). Au cours des séminaires locaux, le prestataire va les aider à développer une vision prospective de leur territoire avant d’aboutir à un programme d’actions traduisant cette vision en opérations à mener à court terme. Il était vraiment important d’avoir des réflexions prospectives à visées opérationnelles. Au niveau local, chaque collectivité va aborder, avec son groupe de travail local, le thème et les axes de travail de la Fabrique Prospective selon ses préoccupations et ses priorités mais nous veillons avec le prestataire à ce que chacun développe une approche transversale.

Quant aux séminaires inter-sites, ils permettent aux représentants des territoires (un élu et un agent référent de chaque collectivité) de partager leurs expériences, voire de faire du réseau, et de coconstruire avec les membres du comité de pilotage des pistes d’action nationales.

L’ANCT, avec France Urbaine et l’Assemblée des communautés de France (AdCF) a lancé en 2018 plusieurs travaux sur le sujet de la coopération entre métropoles et territoires environnants. Quels sont ces travaux ?

Un pacte État – métropoles a été signé en 2016, sous l’impulsion de l’Etat. Il invitait notamment les métropoles à coopérer avec les territoires qui les environnent.
Nous avons d’abord effectué un travail de recensement des coopérations entre métropoles et territoires environnants. Nous avons envoyé un questionnaire aux 22 métropoles et aux territoires voisins. Ils devaient nous indiquer les thèmes, les modalités, les partenaires, l’état d’avancement du ou des projets. 173 coopérations ont été remontées par les 21 métropoles qui nous ont répondu.

Volontairement, nous n’avions pas mis de définition limitative ni pour le terme « coopération » ni pour les formes de coopération (syndicat mixte, association, contrat, entente, avec ou sans support juridique…). Aucune forme, aucune modalité, aucun thème n’était donc exclu. Et ce sont d’abord des coopérations prenant la forme de conventions, de chartes, de contrats, qui nous ont été transmises. Mais ce qui ressortait surtout de ce recensement, c’est la dynamique existante, omniprésente, polymorphe, et relative à des sujets très divers. Nous avons ensuite mené une enquête complémentaire sur les outils et les méthodes d’observation des dynamiques interterritoriales.

 

Puisque la dynamique de coopération était là, que pouvait apporter une fabrique sur le sujet ?

Il est apparu que les coopérations déclarées dans les recensements étaient des coopérations existantes ou en projet, répondant à des besoins présents ou à très court terme. La Fabrique désirait, elle, aborder des sujets sur lesquels il faut coopérer demain entre métropoles et territoires environnants. Elle cherchait également à identifier des pistes d’action pour faciliter leur mise en œuvre. C’était ça l’objectif, et c’est à ce moment- là que nous nous sommes engagés avec Brest, Nantes, Rouen et Toulouse. Chacune de ces métropoles a adopté une ou deux thématiques de travail. Brest a choisi l’attractivité territoriale, Nantes l’énergie, Rouen la mobilité et l’alimentation durable, Toulouse l’alimentation durable.

La réflexion portait sur les questions suivantes : que changer, qu’améliorer pour coopérer ? Quelles actions mettre en place ? Quel type de gouvernance instaurer ? Chacun est arrivé à des résultats spécifiques à son territoire. Mais de l’ensemble des retours d’expérience nous avons essayé de tirer des enseignements utiles à tous les territoires.

 

De ces retours d’expérience, quels facteurs de réussite avez-vous dégagés ?

D’abord connaître les dynamiques territoriales. Avoir des outils d’observation et de mesure des flux (d’énergie, d’eau, de matériaux, de ressources humaines…) et disposer de données pour objectiver les thématiques sur lesquelles il faudrait coopérer. En effet, au regard des coopérations qui nous avaient été remontées, nous avons tous fait le constat qu’elles visaient à résoudre un sujet qui se posait immédiatement à deux territoires. Or d’autres sujets de coopération sont à anticiper ce qui demande de disposer de systèmes d’observation donc de données caractérisant les flux et les complémentarités entre territoires.

Le deuxième point important, en lien avec le premier, c’est d’avoir une vision stratégique commune des coopérations. Chacun a mis en place des coopérations sur des thématiques différentes, à des périodes différentes et avec des acteurs différents. Il est apparu pertinent d’avoir une vision d’ensemble plutôt qu’une multitude d’actions différentes de coopération. Là aussi il s’agit de remettre de la cohérence.

Troisième point, toujours lié : mettre en place des espaces de gouvernance pour ces coopérations. Quand plusieurs actions de coopérations sont lancées, autant d’espaces de gouvernance le sont. Or il est apparu utile d’organiser un seul espace où l’on peut tout partager, ce qui fonctionne ou qui ne fonctionne pas.

Quatrième point : si l’on veut développer des coopérations entre métropoles et territoires avoisinants, il est nécessaire de dégager des moyens pour s’en charger (élus, agents…). Il semble que le fait qu’il y ait un service ou un élu « coopération » au sein des métropoles facilite grandement les choses. C’est le cas par exemple à Bordeaux ou à Rennes. Par ailleurs, nombre d’agences d’urbanisme, comme celles de Brest et Tours, accompagnent les projets de coopération.

Ce qui nous amène au cinquième point : les financements spécifiques. Une action de coopération, par définition, correspond rarement aux dispositifs d’appui financier classiques qui visent des opérations thématiques portées par une seule collectivité. L’Etat peut financer des actions de coopération, par exemple en mobilisant le Fonds National d’Aménagement et de Développement du Territoire, néanmoins il n’existe pas de fonds dédié aux coopérations. Les quatre métropoles que nous avons accompagnées ont donc souligné qu’il serait utile que les Régions et l’Etat dégagent des financements spécifiques pour soutenir les coopérations entre territoires, qu’il s’agisse d’investissements ou d’animations.

Enfin, des propositions ont été émises pour faire évoluer le cadre juridique par exemple sur des dérogations vis-à-vis des règles s’appliquant en matière de concurrence, de mutualisation des moyens humains, de transaction financière, ou encore sur les règles de contrôle budgétaire, ou bien les services d’intérêts généraux et le in house.

Quels sont les freins à la coopération ?

Ce sont essentiellement des freins de représentation. Un territoire voisin d’une métropole peut par exemple avoir l’impression que la métropole va exploiter ses ressources, sans contrepartie satisfaisante, qu’il va moins y gagner. Or, il ne peut y avoir de coopération satisfaisante sans réciprocité. Chacun doit gagner dans une coopération. Si les élus et les agents peuvent se démontrer les uns aux autres que chacun a à y gagner, alors on est dans la coopération. Mais tant qu’on n’a pas réussi à prouver cela, des freins peuvent exister. D’où l’importance d’avoir des données qui permettent d’objectiver les sujets sur lesquels il faut coopérer et de déterminer les avantages que chacun peut en tirer.
Par ailleurs, les frais et les charges de travail que la coopération occasionnent peuvent constituer un frein.

Plusieurs territoires se fixent l’autonomie (alimentaire ou énergétique par exemple) comme objectif pour les années à venir. N’est-ce pas une motivation supplémentaire a la coopération ?

La coopération permet de renforcer les filières locales, en rapprochant l’offre et la demande sur des sujets tels que l’alimentation ou l’énergie, et dans ce sens peut contribuer à des stratégies d’autonomie de certains territoires. Les territoires voisins des métropoles ont des ressources. Ils peuvent par exemple produire de l’énergie parce qu’ils ont des espaces, du foncier disponible. Pour les mêmes raisons, ils peuvent parfois produire une alimentation de qualité pour fournir les métropoles. La densité de la métropole leur assure en quelque sorte une clientèle conséquente. Tout le monde s’y retrouve.

ABC Grenoble : les locataires, acteurs majeurs de l'autonomie

Première en France, l’immeuble ABC, Autonomous Building for Citizen, implanté sur l’Ecocité Presqu’île de Grenoble, vise l’autonomie énergétique et l’autonomie en eau. Outre ses multiples innovations technologiques, ses occupants sont appelés à devenir les chevilles ouvrières de sa réussite. Et de sa multiplication.

Interview de Bruno Raynfeld, directeur de la Maîtrise d’Ouvrage de Grenoble-Habitat.

ABC, bâtiment livré en juillet 2020 et dont Grenoble-Habitat est gestionnaire, est « autonome ». Que cela signifie-t-il ?

ABC est un « démonstrateur » : c’est un bâtiment qui puise les ressources nécessaires à son fonctionnement dans son environnement en mixant productions d’énergies renouvelables, stockage des énergies et suivi des consommations. Il vise une autonomie en énergie de 70%, une diminution par trois de la consommation en eau issue du réseau de ville et une réduction de 60% des déchets ménagers.

Que cela implique-t-il en termes d’équipements ? Tous les logements, sociaux ou « intermédiaires », sont-ils pourvus de la même manière ?

Les vingt logements locatifs sociaux et les quarante-deux logements locatifs intermédiaires possèdent globalement les mêmes équipements. Les dispositions relatives au chauffage sont identiques. Il y a juste une différence au niveau du traitement d’air. Il est assuré par une centrale à double flux collective dans le bâtiment de logements locatifs social et par des centrales individuelles dans les logements intermédiaires. Ce choix de deux types d’appareillage différents permettra d’obtenir un retour d’expérience différencié.

Par ailleurs, une dizaine de logements expérimentent des « douches orbitales ». Ce type de douches intègre une technologie élaborée à l’origine pour équiper les stations spatiales, d’où leur nom. Elles permettent de faire circuler l’eau en circuit fermé. Un capteur placé dans le siphon analyse la teneur en détergents de l’eau évacuée. Dès que cette eau est suffisamment propre, elle se met à circuler en circuit fermé. Ainsi, quand on a fini de se rincer, on ne consomme plus d’eau supplémentaire et l’eau va refroidir tout doucement à force de passer dans le circuit. Ce sont des équipements très sophistiqués qui nécessitent un entretien particulier de la part des locataires et dont l’usage est encore un peu compliqué.

Comment est assurée la maintenance de ce démonstrateur ?

La maintenance de toute la centrale de traitement d’eau est effectuée par les experts de Suez qui en a fait valider le process par l’Agence régionale de santé. Pour notre part, nous devons nous assurer que l’industriel qui porte le process réalise bien les opérations auxquelles il s’est engagé, qu’il est quotidiennement au rendez-vous pour régler tous les petits disfonctionnements, pour effectuer les nécessaires petits réglages.

En ce qui concerne la production d’électricité, où il n’y a pas de question liée à la santé, la maintenance est beaucoup plus statique. On est dans un système où le fournisseur d’énergie, Gaz électricité de Grenoble (GEG), reste propriétaire de la ferme photovoltaïque. Le plan d’exploitation comprend la fourniture d’énergie au bâtiment autonome, et la vente de l’excédent sur le réseau.

 

Et en ce qui concerne la collecte des déchets ?

C’est la métropole qui collecte les déchets. En tant que bailleur, nous avons coordonné l’installation à des composteurs sur le site et accompagné la sensibilisation au compostage, au réemploi, au troc, à la valorisation de toutes ces choses qu’on a plutôt tendance à jeter habituellement. Chaque logement est équipé d’un bac à compost et nous avons sur le site identifié des référents animateurs parmi les habitants qui forment leurs voisins ces nouvelles pratiques.

 

Les locataires ont-ils un retour de leurs consommations courantes ?

Une application, Wizom, centralise toutes les consommations d’énergie et d’eau et permet à chacun d’avoir accès à ses données. Elle les renseigne sur les principales sources de consommation: chauffage, la cuisine, lave-linge, etc. Même principe pour l’eau : l’application indique si la consommation a lieu surtout au niveau de la salle de bain ou bien en cuisine. A l’entrée des logements, une interface permet aux locataires de suivre l’état de leur consommation. Dans leur chemin vers la sobriété, ils savent ainsi si ils sont en progrès ou non, et pourquoi. Pour beaucoup de locataires, il est important d’avoir accès à ces données.

L’usage d’ABC est un peu particulier puisqu’il doit permettre d’atteindre les objectifs d’autonomie du bâtiment. Comment avez-vous sensibilisé les locataires à cet usage et à ses contraintes ?

Dès 2019, plus d’un an avant la date théorique d’entrée dans les lieux, nous avons fait une démarche de location active sur le projet. Nous avons consacré huit à dix soirées de visites et organisé des journées porte-ouvertes sur le site pour le faire connaître, susciter l’envie de venir l’habiter. Cela nous a également permis de mesurer la motivation des gens, en fonction de leur sensibilité aux questions environnementales, à la sobriété, à l’impact que chacun peut avoir au quotidien sur le futur de la planète.

Il y a des gens qui l’exprimaient très bien quand ils venaient visiter. Pour d’autres, il s’agissait plutôt de curiosité.
Nous avons expliqué en amont ce que la vie dans ces bâtiments aurait de particulier. Les candidats locataires étaient reçus dans un showroom – le local du démonstrateur – leur expliquant les principes du projet. A l’aide de visuels, de supports, d’échantillons, nous leur avons par exemple précisé comment le bâtiment essayait d’être vertueux dans son impact carbone : béton bas carbone pour sa structure, isolant extérieur en liège, une première… Nous leur avons également expliqué comment les équipements et leurs usages accompagneraient les efforts vers la sobriété en électricité et en eau.

Un appartement témoin permettait en outre aux visiteurs de constater que les logements étaient « normaux » et « agréables », même si certaines contraintes pesaient sur des éléments comme les douches orbitales. Les candidats à la location pouvaient également constater les avantages de ces logements puisque cuisines et salles de bain sont intégralement équipés d’appareils (lave-linge, lave-vaisselle, appareils de cuisson) très performants et sobres en eau et d’électricité.

Enfin, ces visites étaient l’occasion de diffuser notre volonté de créer un collectif sur le site. Un collectif mobilisé sur les questions de sobriété et sur la manière de vivre ensemble dans un logement collectif un peu plus riche que ce qui peut exister dans bien des cas. Nous savions que la dimension collective était importante pour que la résidence fonctionne et que la dimension d’autonomie ne pourrait se faire qu’avec des gens intéressés par le bâtiment, par sa dimension pionnière et par les changements d’usage qu’il propose.

La préparation a pris un peu de temps. Pour le logement locatif social, nous avons dû obtenir des dérogations de la part de la métropole pour adapter les schémas d’attribution de ces logements un peu particuliers à l’engagement et la motivation des candidats. Le hasard, qui fait que d’un scoring et d’une analyse de dossier anonyme on arrive à avoir un candidat positionné à un endroit, ne suffisait pas.

Comment s’est mise en place la dynamique collective de l’immeuble ?

Nos premières actions d’accompagnement ont été un peu bouleversées par la crise sanitaire. Pendant le premier confinement, et toute la période qui a précédé l’emménagement, nous avons mis en place des webinaires pour que les futurs voisins fassent connaissance. On a organisé ce que l’on a appelé « l’immeuble des voisins », sur plusieurs sessions : les habitants étaient invités à se présenter, à parler de leurs passions, de ce qu’ils avaient envie de partager avec les autres. Des profils se sont dessinés, avec ceux qui avaient plutôt envie de s’occuper des jardins, ceux qui se voyaient plutôt sur les actions de recyclage, ceux qui étaient plus intéressés par l’énergie.

« L’immeuble des voisins » a donc permis aux gens de se connaître avant de se rencontrer réellement, et d’avoir une première idée du collectif qui pouvait se mettre en place. En parallèle, les futurs locataires ont constitué un groupe WhatsApp dont le fil d’actualité fonctionne très bien. La dynamique collective s’est ensuite un mise en place progressivement grâce à l’organisation d’ateliers jardins en cœur de résidence avec une association locale « Cultivons nos toits » spécialisée dans la culture urbaine.

Un collectif a été créé. Il ne comprend pas l’intégralité des habitants mais au moins une vingtaine de familles se regroupent régulièrement. Elles se répartissent en groupes de travail spécifiques avec des référents pour le compostage, des gens qui s’occupent des jardins partagés Un cabinet spécialisé dans l’accompagnement est en relation au moins une fois par mois avec les habitants. Il a pour mission de piloter, de donner des impulsions au collectif habitants : créations d’ateliers, mises en place de groupes de travail, de challenges… Une dizaine d’ateliers ont été lancés en 2021. Et nous remarquons aujourd’hui que les locataires sont de plus en plus autonomes. Toutes ces personnes œuvrent désormais pour animer la résidence, élargir et enrichir les usages.

En quoi vous ont-il surpris par exemple ?

Plusieurs locataires ont animé eux-mêmes des challenges écologiques par équipe appelés « ma petite planète ». Ils vont nettoyer les berges de l’Isère. Ils jardinent sur tous les espaces communs de la résidence. Ils se sont lancé des défis entre eux de leur propre initiative, par exemple sur la consommation des douches. Ils ont organisé des séances de troc, des ateliers do it yourself, et ils ont même créé un groupe de musique pour des bœufs musicaux !

Tout cela ne renforce-t-il pas l’attrait du bâtiment et la valeur des logements ?

Ces actions rejoignent une partie des attentes à vivre dans un habitat plus participatif : aujourd’hui nos bâtiments sont dits « collectifs » mais ils renforcent en fait les comportements individuels de la part des uns et des autres. On a fait des appartements silots en réduisant les parties communes pour avoir la meilleure rentabilité possible. Ce défaut de générosité crée un manque car il est difficile dans ces conditions de s’approprier les espaces communs. Nous, nous constatons qu’une partie des locataires aspirent vraiment à trouver des espaces qui leur permettent de faire naître des choses avec leurs voisins.

Dans le démonstrateur ABC, ça fonctionne ! Nous voyons bien que les habitants investissent totalement les lieux, se rencontrent et se mélangent, quel que soit leur âge, leur profil, leur niveau de revenu… Son caractère de bâtiment pionnier contribue également à faire se rencontrer des gens qui ont les mêmes centres d’intérêts, qui ont envie de partager des espaces. Oui, ce bâtiment répond vraiment à une demande, et non seulement les gens adhèrent au projet mais ils ont en plus même tendance à nous dépasser !

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