Les territoires ont été des acteurs de premier plan dans la gestion de la crise. Après avoir vécu en « service minimum », réduites à leurs fonctions vitales, les villes se préparent aujourd’hui à « l’après ».
« Ce sont les collectivités locales qui tiennent le pays à bout de bras”, assure André Laignel, vice-président de l’association des maires de France. Elles jouent en effet un rôle majeur dans la gestion de la crise sanitaire du Covid-19, muée en crise économique et sociale.
Mettre en œuvre les mesures prises au plan national, comme un confinement inédit de deux mois, c’est aussi répondre à des questions essentielles : comment apporter de l’aide alimentaire à certaines familles ? Comment reloger des personnes entassées dans des logements insalubres ? Comment s’occuper des sans-abri dans cette période ? Et depuis le 11 mai, date du déconfinement, comment assurer la reprise de l’école, aider les commerçants et artisans qui souffrent particulièrement de la crise ? En effet, “c’est l’échelon local qui peut le mieux connaître le besoin local”, appuie Michel Fournier, maire des Voivres (Vosges) et premier vice-président de l’association des maires ruraux de France.
SUR TOUS LES FRONTS
Les services de la mairie sont les interlocuteurs privilégiés pour s’informer : beaucoup ont mis en place une permanence téléphonique pour répondre aux questions liées à la crise, ont anticipé certaines sur le site internet de la mairie ou les réseaux sociaux, fait placarder des messages de prévention dans les immeubles et les commerces. C’est vers la mairie que “les entreprises se sont tournées pour en savoir plus sur les dispositifs d’aide mis en place par l’État et la région”, constate le magazine Maires de France d’avril.
En plus d’assurer la continuité des services publics indispensables, comme l’état-civil (l’enregistrement des naissances et des décès), la maintenance de l’eau, la gestion des déchets ou la police municipale, pour les communes qui en sont dotées, les collectivités sont appelées par l’État, dans un message du 21 mars, à répondre en partie à “quatre missions vitales”, “pour lesquelles aujourd’hui plus que jamais il y a besoin de bénévoles : l’aide alimentaire et d’urgence, la garde exceptionnelle d’enfants des soignants ou des structures de l’ASE (aide sociale à l’enfance), le lien avec les personnes fragiles isolées et la solidarité de proximité.”
Certaines communes ont mis en place une procédure adaptée pour prendre contact et suivre les personnes âgées, isolées et vulnérables, répertoriées par le fichier canicule ou grand froid, par exemple. Un système de livraison de courses, de repas et de médicaments est organisé par les services municipaux. Le référencement de certaines entreprises locales, commerçants et petits producteurs sur le site de la mairie ou une plateforme dédiée a contribué à les soutenir tout en permettant aux habitants de s’approvisionner en biens de première nécessité. C’est encore avec la mairie que s’instaure la garde des enfants des soignants, des pompiers ou des gendarmes, avant la reprise progressive de l’enseignement primaire, élémentaire et secondaire. Enfin, c’est souvent au niveau local que s’effectue la confection de blouses et de masques.
“C’est une gestion de crise jour et nuit, avec l’obsession de sauver des vies”, résume David Lisnard, maire de Cannes, surnommé « Maire 100 000 volts ».
VULNÉRABILITÉS MULTIPLES
Une crise qui fait apparaître les ressources, mais aussi les vulnérabilités des villes, dans lesquelles quatre milliards d’individus dans le monde se sont retrouvés confinés en avril. La carte de France du Covid-19, par exemple, met en valeur “la relation forte entre la densité de peuplement et l’épidémie, note l’économiste Laurent Davezies, dans une interview publiée par « Le Un » le 13 mai 2020. “Paul Krugman, Prix Nobel [d’économie] en 2008, souligne dans ses travaux l’intérêt de la concentration urbaine : la densité, selon lui, est la pierre philosophale de la croissance et de l’innovation. Or c’est aussi la pierre philosophale pour le Covid-19 qui adore les foules (…) Le virus est un Robin des Bois qui attaque les villes et épargne largement les territoires ruraux ».
Par ailleurs, « la couverture hospitalière est plus favorable aux territoires périphériques et ruraux. Même si c’est contre-intuitif, les départements les moins denses bénéficient de plus d’emplois hospitaliers pour mille habitants que les départements urbains ».
La crise rappelle un constat, déjà effectué lors de la grève des transports fin 2019 : dans les grandes métropoles, le logement des soignants et des personnels « en première ligne » (caissiers, éboueurs…), qualifiés parfois de « héros », est si éloigné de leur lieu de travail, que pour certains d’entre eux les mairies a dû trouver en urgence des hébergements provisoires.
Enfin, la menace de pénurie de médicaments et de matériel médical, pendant le confinement, mais aussi d’énergie et de nourriture “au cas où les routiers exerceraient leur droit de retrait”, comme le craignait Célia Blauel, Maire-adjointe de Paris, nous renvoie aux “faiblesses de nos chaînes logistiques à toutes les échelles et, au premier rang, l’échelle internationale.” C’est le constat émis par Lydia Mykolenko, en charge des études sur le transport de marchandises et la logistique, à l’Institut Paris Région. “La question de la relocalisation en France d’activités stratégiques est posée”, ajoute-t-elle.
VERS LE « MONDE D’APRÈS »
Le coronavirus apparaît pour nombre d’élus, d’urbanistes ou d’architectes, comme une opportunité formidable pour réinventer un modèle de ville plus favorable à l’environnement et à l’humain. Une heure de sortie quotidienne, pendant le confinement, a permis aux citadins de constater combien l’automobile, interdite de circulation sans dérogation, avait dessiné notre environnement urbain. Et qu’à pied ou à vélo on pouvait circuler relativement vite et loin.
L’urbanisme tactique se développe depuis fin mars à Bogota, New-York, Montréal et Paris, où 50 km supplémentaires de pistes cyclables temporaires ont été aménagées ; voies piétonnes et terrasses mordent sur les chaussées. Célia Blauel se dit inspirée de l’ouvrage de Nicolas Soulier, Reconquérir les rues, exemples à travers le monde et pistes d’action (2012). “Il invite à ne plus considérer les rues comme des routes, mais comme des espaces bordés d’habitation, et à faire sauter les verrous des règles d’urbanisme pour faire déborder la vie dans la rue, en végétalisant les abords des maisons”. La baisse de la circulation de près de 50% dans les grandes agglomérations, fin mai, selon les données récoltées par TomTom, soutient cette vision.
La crise sanitaire a révélé les fragilités urbaines contemporaines et nous interroge sur nos façons d’aménager les territoires, en repensant notamment la densité urbaine, le partage de l’espace, la conception des logements ou encore la place de la nature. Dans quelle ville vivrons-nous dans « le monde d’après » ?
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