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SMART BUILDING

Par Anne Borrel,

30 Mars 2021

Le numérique joue un rôle central depuis un an pour le maintien de l’activité économique, de la santé et de la formation, avec le télétravail, la télémédecine et l’enseignement à distance.
Il révolutionne nos modes de vie, et avec eux, la vie de nos bâtiments.
Bureaux, campus universitaires, hôpitaux ou grandes surfaces, dotés d’une infrastructure numérique et d’équipements communicants, s’affranchissent des représentations passées et se repensent pour répondre aux besoins actuels de réorganisation et de réduction des espaces de travail, de frugalité énergétique, de confort aussi.
L’expression « smart building », apparue dans les années 1980, prend aujourd’hui tout son sens.

Une simple application chargée sur un smartphone transforme un immeuble de bureau en une sorte de palais de « la Belle et la Bête » : les portes s’ouvrent sur votre passage, l’ascenseur vous amène droit à votre étage. Votre salle de réunion, où la qualité de l’air a été préalablement mesurée, s’allume à votre arrivée, et votre présentation se lance à peine votre smartphone posé sur la table …

L’avenir du smart building lui-même peut se comprendre comme le système d’exploitation d’un smartphone. Dans un smartphone, des applications (téléphone, messages, appareil photo, calendrier, etc) vont fonctionner grâce à un système d’exploitation commun, Android ou iOS le plus souvent. Il permet également d’intégrer de nouvelles applications. De la même façon, dans un smart building, un même « BOS » (Building Operating System) va permettre à son usager ou exploitant de se connecter d’emblée aux différents équipements d’un bâtiment (portique de sécurité, ascenseur, lumières, chauffage, ventilation, stores, accès aux différentes salle, capteurs…), autant d’applications qui fonctionnent ensemble.

« Ce n’est pas un bâtiment techno-centré, mais humano-centré, précise Fabrice Poline, responsable marketing stratégique de Bouygues Construction. Un bâtiment équipé d’un système digitalisé ne devient un bâtiment intelligent que s’il répond à la fois à des enjeux socio-économiques et écologiques, comme apporter à ses usagers les services dont ils ont véritablement besoin : gagner du temps et de l’efficacité au bureau, bénéficier d’une meilleure connexion à distance, tout en réduisant ses coûts et ses émissions carbone. »

A l’humain donc, quand la frugalité numérique s’impose, de faire en sorte que son usage assure moins d’émissions carbone qu’il n’en génère, et d’assurer la protection des systèmes et des données alors que les cyber-attaques augmentent de manière exponentielle. « Entre octobre 2019 et octobre 2020, on a connu une multiplication par 20 des cyberattaques ». Sept établissements de santé en ont été victimes depuis le 1er janvier 2021, révélait « Libération » le 19 février 2021. Mais les solutions sont là et se développent, avec la labellisation des bâtiments (WiredScore ou R2S) notamment.
« Le smart building est déjà une réalité, mais il n’en est qu’au stade expérimental, rappelle toutefois Thomas Guerras, Manager Conseil Digital chez Elan. Toutes ses promesses ne pourront se réaliser qu’avec le développement d’une solide culture numérique partagée ; les jeunes générations seront prêtes pour cela ».

UN SMART BUILDING COMMENT ÇA MARCHE ? A QUOI ÇA SERT ?

Un toit : c’est le synonyme que propose le dictionnaire pour le bâtiment.
« Mais le smart building va bien au-delà ; il faut y penser comme à une plateforme multiservice for space, for work, for health, for mobility…» résume Emmanuel François, président de la Smart Building Alliance (SBA) qui rassemble 460 acteurs du bâtiment et de la ville intelligente. « À ne pas confondre avec la domotique ».
Les enjeux sont plus ambitieux : optimiser les rapports entre les usagers d’un immeuble, leur santé, leur sécurité et, plus prosaïquement, les dépenses énergétiques, l’occupation des lieux et leurs coûts. Ce n’est pas sans conséquences sur le secteur de l’immobilier : la construction n’est plus considérée comme un produit inerte, mais vivant, évolutif, doté de nouvelles capacités et d’une nouvelle valeur, immatérielle.

USAGE SIMPLIFIÉ DU BÂTIMENT

Concrètement, un smart building, comment ça marche ?
« Tous les équipements du bâtiment (portiques de sécurité, ascenseurs, lumières, climatisation, chauffages, stores, capteurs, etc.) apportent des renseignements sur leurs usages ou leur fonctionnement respectif.
Des capteurs peuvent faire remonter des informations sur la qualité de l’air, la luminosité, le bruit, le taux d’occupation, les flux de visiteurs, détaille Fabrice Poline, responsable marketing stratégique de Bouygues Construction…
Les équipements doivent être ouverts et interopérables pour avoir la possibilité d’échanger aisément et de remonter leurs informations vers un système central (le Building Operating System ou BOS – le système d’exploitation du bâtiment).
Cette plateforme va connecter tous les organes du bâtiment pour qu’ils puissent se parler entre eux et permettre de les piloter intelligemment, de façon automatisée et optimisée, grâce à des règles, de l’auto-apprentissage et pourquoi pas, de l’Intelligence Artificielle.

Le système opératif va donner accès aux informations pertinentes et proposer des services adaptés aux différents usagers du bâtiment, via, par exemple, une application mobile ou webapp, selon leur statut – visiteurs, employés de bureaux ou membres de l’équipe de maintenance, selon leurs droits d’accès à certaines zones (accès au parking, au bâtiment, au restaurant d’entreprise, auditorium, salle de sport, etc), pour un usage simplifié du bâtiment.

Cette nouvelle approche de la gestion du bâtiment et de ses services est déjà déployée, au travers de technologies diverses, dans de très nombreux bâtiments à travers le monde, principalement des bâtiments neufs ou fortement réhabilités. »

Si vous vous rendez, par exemple, au siège de Microsoft à Amsterdam, The Outlook, vous serez guidé par une application jusqu’à la place de parking qui vous convient le mieux, puis à votre salle de réunion ; si vous n’avez rien réservé, l’application vous indiquera l’espace de travail le plus adapté.
« Nous avons identifié deux flux de personnes différents dans notre bâtiment : un flux d’employés et un flux de visiteurs, explique Chris Nouveau, Digital Advisor chez Microsoft Services. Nous utilisons de la technologie intelligente pour faciliter les deux flux, depuis le moment où les gens partent pour venir ici et se garer, pour pouvoir travailler confortablement, mais aussi pour organiser facilement une réunion, et ce jusqu’à leur départ du site ».

Cette gestion de flux différents, grâce à la technologie, est particulièrement utile dans les hôpitaux. À Toronto le Humber River Hospital (722 lits) ou le Mackenzie Vaughan Hospital (367 lits), sont équipés par Plan Group, filiale de Bouygues Construction, d’une solution pour ramener ces immenses hôpitaux à taille humaine. Comme dans un aéroport, des bornes d’enregistrement éliminent les longues files d’attente ; des plans interactifs guident le patient et sa famille jusqu’à leur lieu de rendez-vous. Un système de localisation en temps réel permet au personnel médical de savoir où se trouve un patient ou un membre du staff. L’occupation des salles de consultation est optimisée, la distribution de médicaments automatisée, comme l’analyse des échantillons en laboratoire.

À Toronto, le Mackenzie Vaughan Hospital (367 lits), est équipé par Plan Group, filiale de Bouygues Construction, d’une solution "smart" pour ramener cet immense hôpital à taille humaine et optimiser son fonctionnement

BIEN-ÊTRE

« Le smart building vise à améliorer la qualité de vie des occupants, l’efficacité collective, comme l’exploitation du bâtiment, rappelle Fabrice Poline. Mais cette rentabilité-là, dans un hôpital, un campus ou un immeuble de bureaux, est très difficile à mesurer ».
Goodwill Management a élaboré un outil prédictif à cet effet, appelé Vibeo, une « boussole du bien-être et de la performance ».
« La méthode Vibeo prend en compte des paramètres comme la luminosité, le bruit, la localisation, la qualité de l’air, etc., et mesure leur incidence sur le « confort » des employés au sein des espaces de travail, explique Christophe Rodriguez, directeur général adjoint à l’Ifpeb, dans la revue « In Interiors », en février 2021. Ainsi, comme notre étude sur le télétravail le montre, les logements privés peu performants comme lieux de télétravail provoqueraient des pertes de productivité de l’ordre de 3 % par rapport à un bureau performant. Qui dit productivité et bien-être des salariés, dit meilleure performance de l’entreprise. Si nous prenons l’exemple d’une entreprise de 200 salariés faisant 20 M€ de chiffre d’affaires annuel, 3 % de performance supplémentaire équivaudrait à un gain annuel d’environ 540 000 € potentiel ».

La planète aussi s’en porte mieux. Le campus Microsoft de Redmond, constitué de 120 bâtiments (environ 750 0000 m2), a fait des économies d’énergie de 8% à 10%, obtenant de surcroit un retour sur investissement en 2 ans et des économies de plusieurs millions de dollars sur les coûts de rénovation des équipements des bâtiments. « Nous avons décidé d’éliminer toute la pollution carbone de notre société depuis notre création en 1975, rappelle Chris Nouveau. Nous atteindrons la négativité carbone d’ici 2030 et aurons éliminé l’équivalent de toutes nos émissions d’ici 2050, comme annoncé en janvier 2020 », promet-il.

MAINTENANCE DIGITALISÉE

Numériser un bâtiment, l’équiper de détecteurs de panne, c’est aussi permettre de lire en temps réel l’état de ses infrastructures, de ses réseaux et équipements sur, par exemple, son jumeau numérique (copie numérique en temps réel du bâtiment). Il permet de savoir si l’équipement présente une faille, où le problème se trouve et où il faut intervenir, quels outils pour le réparer, si cela peut être fait à distance ou de façon manuelle. Un dashboard (une console de contrôle), situé dans une salle de supervision, transmet la bonne information à la bonne personne ; cela évite de déplacer un électricien quand un climatiseur est défaillant par exemple. Remédier très tôt à un problème mineur c’est éviter des travaux plus lourds et onéreux.
Ainsi, en septembre 2020, le bâtiment Francis Bouygues de l’Ecole CentraleSupélec, exploité par Bouygues Energies & Services, obtenait la première certification française « BIM Model in Use ». Les équipes ont réalisé une maquette BIM afin d’optimiser l’exploitation du bâtiment et de cette façon, faciliter le travail des équipes.

Des certifications garantissent la qualité de service du smart building et sa sécurité. WiredScore, un label international, et R2S (Ready2Services), label franco-français, offrent des garanties complémentaires. Le premier vise en priorité les propriétaires ; il évalue le niveau de la connectivité des immeubles, la performance de l’infrastructure numérique et sa résilience. Il sera complété à partir d’avril 2021 par le label SmartScore pour intégrer davantage les services et l’intelligence numérique du bâtiment. Le second, R2S, cible d’abord les utilisateurs pour vérifier la capacité des immeubles à accueillir et distribuer des services numériques, en tenant compte d’une cinquantaine de critères. Ces certifications sont amenées à se développer.

« Le numérique est une chance pour l’humanité. Il faut déployer l’infrastructure numérique dans les bâtiments et dans la ville où vivront bientôt plus des deux tiers des hommes. Elle va servir à la transition énergétique, sociale, économique, sanitaire ; à répondre aux défis du XXIe siècle », assure Emmanuel François.

QUEL AVENIR POUR LE SMART BUILDING ?

Avec le développement de la technologie numérique, les activités humaines ont changé. On travaille, on commerce, on se forme, on échange, on se soigne différemment, à distance. Le logement du XXIe siècle peut abriter toutes ces activités réalisées au XXe dans des bâtiments dédiés, comme l’a prouvé le confinement. Il doit s’adapter à ces changements sans sacrifier au confort, et faire preuve de flexibilité tout comme les smart buildings du tertiaire, constatent de plus en plus d’acteurs du bâtiment, ou de chasseurs de tendance, comme Vincent Grégoire pour l’agence de style Nelly Rodi.
Au-delà de cela, connectés les uns aux autres et gérés à distance par une plateforme centrale, dans une petite ville ou un quartier, nos bâtiments intelligents pourraient nous aider à mieux gérer nos dépenses d’énergie et notre empreinte carbone, ou à optimiser nos déplacements, maillons d’une smart city collaborative, où chacun participe au bien de tous.

VERS DES BÂTIMENTS PLUS FLEXIBLES ET PLUS RENTABLES

« Dans les écoles d’architecture, d’ingénieurs, d’urbanisme ou de design (…) les formations évoluent pour mieux prendre en compte les nouvelles possibilités offertes par le numérique [pour atteindre] les objectifs de développement durable», constate « Le Monde » du 3 décembre 2020.
En effet, « ce n’est pas seulement en mettant des doubles vitrages aux fenêtres qu’on va pouvoir faire de l’effacement énergétique, mais grâce aux solutions numériques », souligne Emmanuel François, président de la SBA. « Le numérique va permettre d’actionner [de multiples] leviers pour réduire l’empreinte carbone et le gaspillage des ressources d’un bâtiment, le rendre plus rentable, explique Fabrice Bonnifet, directeur Développement durable, QSE et RSE chez Bouygues, tout en améliorant le bien-être de ses occupants ». Ce dernier facteur n’est pas à négliger. « On veut plus de bien-être. Il faut qu’on ait envie de revenir au bureau», insistait Vincent Grégoire sur les ondes de France Inter le 12 mars.

Un modèle ? Le bâtiment hybride à énergie positive, poussé par le groupe Bouygues, qu’un système de maintenance intelligent rend plus économe de l’énergie verte qu’il produit, mieux occupé, plus confortablement ; il est recyclable, plus rentable, de la cave au grenier.

DU SMART BUILDING À LA SMART CITY

Ce type d’immeuble intelligent, qui « fait entrer le dehors dedans, tout en gardant certains espaces sanctuarisés», pour reprendre les mots de Fabrice Bonnifet, ouvre la voie à un nouveau modèle urbain où les bâtiments intelligents, actifs, sont tous gérés à distance par la technologie pour mieux contrôler leurs ressources et leurs dépenses d’eau et d’électricité respectives, assurer leur approvisionnement, leur bon fonctionnement, leur sécurité et la santé des habitants. Ce modèle, Singapour l’illustre déjà en partie, mais au détriment des libertés individuelles.

Il pourrait s’incarner dans le projet de smart city de Toyota, Woven City, dont les travaux ont commencé en mars 2021 sur son ancien site de Susono, au pied du mont Fuji.
Les smart homes et smart buildings en bois, pourvus de systèmes de production d’énergie verte, s’alimenteront les uns les autres. L’eau de pluie sera récoltée et redistribuée, selon les besoins. Un système central assurera l’équilibre de la répartition des ressources, la fluidité de la circulation des véhicules autonomes et la sécurité des piétons. Chaque frigidaire renseignera les épiceries connectées sur les besoins en temps réel des habitants pour éviter le gaspillage des ressources.

Ainsi les bâtiments intelligents constituent une smart city collaborative. Toutes les données servent à tous : tout un chacun contribue à créer une ville solidaire, en évolution permanente.
« On ne peut plus être dans un modèle a posteriori mais a priori, et avoir le courage de prendre des initiatives de ce type. Elles optimisent aussi des services comme le nettoyage, le tri et le recyclage des déchets, l’assistance aux personnes dépendantes…, commente Emmanuel François. À condition que le modèle soit également éthique, que les données soient centralisées dans une sorte de coffre-fort, maintenu par un tiers de confiance, nommé par une communauté missionnée pour contractualiser avec des opérateurs de services concernant leurs expertises respectives ; que la gouvernance ne soit pas « top down », jacobine, mais « bottom up », girondine, confiée à une communauté et à une vision à long terme, qui dépasse le temps d’un mandat politique ».
« Il faut relever le challenge d’un futur où des personnes d’horizons différents sont capables de vivre heureux, et de construire eux-mêmes leur avenir et celui de leurs familles » préconisait Akio Toyoda, Président de Toyota, lors de la cérémonie d’inauguration de Woven City le 23 février, jour du Mont Fuji, symbole d’harmonie et de bonheur.

SMART BUILDING, UN FANTASME OU UNE RÉALITÉ ?

Interview croisée de YANNICK LASCAUX, directeur d’IViplay, (éditeur de solutions dédiées au smart building), filiale d’IViFlo (société de conseil et éditeur de solutions logicielles)
d’HUGO MARTIN, consultant expert smart building chez C2S
et d’AMAURY PITROU, co-fondateur et directeur général de Wizom connected.

HUGO MARTIN, QU’EST-CE QU’UN SMART BUILDING ? EST-IL AUSSI DÉLICAT DE DONNER UNE DÉFINITION À CE TERME QU’À CELUI DE SMART CITY ?

HUGO MARTIN – Avec le développement des smart buildings, on constate dans la littérature que le terme prend beaucoup de définitions. La plus commune est celle de la Smart Building Association (SBA) : un bâtiment connecté.
Il intègre une multitude de services, qui visent à améliorer l’usage et le confort. Il est pensé pour suivre l’évolution des technologies numériques, quel que soit le type d’ouvrage : logement, bureau, hôpital, école, stade, hôtel, aéroport…. Depuis 2010, notre quotidien a évolué, on peut le constater dans l’usage omniprésent des smartphones et d’internet qui s’est imposé. Le smart building c’est tout simplement le bâtiment digitalisé qui répond à nos nouveaux besoins.
Cependant, on peut considérer qu’est « smart » tout bâtiment intégrant de bonnes idées : des matériaux qui absorbent la chaleur, par exemple, pour un spécialiste du développement durable.

OBSERVEZ-VOUS UN INTÉRÊT ACCRU POUR LE SMART BUILDING EN FRANCE DEPUIS UN AN ? POURQUOI ?

H. M. – La crise sanitaire a mis en évidence que le smart building répond à bon nombre d’enjeux, comme celui de la digitalisation de nos échanges. Nous nous rendons compte que beaucoup de bâtiments ne sont pas suffisamment armés sur le plan numérique. Actuellement, les étudiants suivent les cours à distance. L’infrastructure informatique de l’université n’étant pas performante, ils se retrouvent avec des coupures de connexion, avec une qualité de son et d’image peu propice à l’apprentissage. C’est l’informatique du bâtiment qui ne suit plus.
Avec la pandémie, le nombre de cyberattaques a explosé. Les hôpitaux sont en première ligne, mais leurs informatiques ne sont pas adaptées pour se défendre et ils en subissent les conséquences.
Les projets de construction s’orientent vers une informatique de qualité pour les bâtiments.

AMAURY PITROU – Trois inducteurs principaux favorisent cet intérêt. La réglementation, d’abord, avec les aides et les prêts pour réaliser la rénovation énergétique des bâtiments, la RE2020 bientôt, la Stratégie Nationale Bas-Carbone (la SNBC), pour respecter l’Accord de Paris sur le climat.
Les crises, ensuite, à commencer par la crise sanitaire. Les gestionnaires d’immeuble, lors du premier confinement, ont eu du mal à régir des bâtiments de bureau fonctionnant en silo, dont les équipements (chauffage, éclairage, etc.) avaient été programmés chacun selon ses propres paramètres, et bien souvent de manière statique. Certains techniciens étaient même confinés ! S’en suit actuellement une crise financière avec de nouvelles demandes : comment optimiser les charges (gaz, éléctricité), pour les exploitants comme pour les employés en télétravail ?
Enfin, troisième inducteur, une certaine maturité technologique du marché, avec des solutions qui commencent à être interopérables et un début de massification. Mais au-delà de cela, il y a une prise de conscience sociétale, de la nécessité de se saisir de solutions pour réduire l’empreinte carbone. C’est un enjeu mondial.

EMMANUEL FRANÇOIS, PRÉSIDENT DE LA SBA, DÉCLARAIT EN DÉCEMBRE 2020 : « SEUL LE BÂTIMENT INTELLIGENT À UN AVENIR, À CAUSE DE SA VALEUR D’USAGE QUI NE VA FAIRE QU’AUGMENTER ». EN QUOI EST-CE SI IMPORTANT ?

H. M. – Comme beaucoup, je souscris à cette idée. Le smart building est l’évolution naturelle du bâtiment qui suit simplement celle des outils numériques. Vous ne savez plus vendre de bâtiment qui n’intègrerait pas de connectivité. L’informatique en fait partie intégrante et c’est l’attente de nos clients. Il faut répondre aux enjeux d’usages et technologiques de notre temps.

A. P. – Un bâtiment, en effet, possède une valeur matérielle (des murs, un toit, des équipements…), et une valeur immatérielle : sa capacité à participer au « care », au bien-être des employés, à la sécurité, à l’amélioration des conditions de travail, aux demandes d’évolution sociale et sociétale, à s’adapter au monde qui l’entoure.
Un smart building va permettre à un bailleur de réduire le taux de vacance, tout en procurant bien-être et meilleures conditions de travail aux collaborateurs. Ce qui aura pour conséquence d’améliorer la productivité.

YANNICK LASCAUX – D’abord on résout un problème d’exploitation de l’immeuble. Dans un bâtiment tertiaire classique, le taux d’occupation des salles de réunion n’est généralement que de 50%. La valeur d’usage augmente dès que l’on améliore ces chiffres. Par ailleurs on améliore la qualité de cette exploitation, c’est-à-dire la vie du bâtiment.
L’humain – la masse salariale – représente environ 60% des investissements de l’entreprise. Il est vite vu que ce n’est pas sur les services (le nettoyage par exemple) ou sur l’énergie qu’il faut faire des économies.
Il ne s’agit pas d’enlever de l’humain, de supprimer des emplois ! Mais de rendre l’entreprise plus performante, d’augmenter sa croissance en augmentant le bien-être, vecteur de 10 à 15% de la performance des gens, grâce aux bons outils qu’on leur aura donnés pour travailler plus efficacement.

CONCRÈTEMENT, OÙ EN EST-ON DES EXPÉRIMENTATIONS EN FRANCE (COMPARATIVEMENT AUX ÉTATS-UNIS OU AU CANADA, PAR EXEMPLE) ?

H. M. – Je ne parle plus d’expérimentation. Le smart building n’est pas un concept mais une réalité. Mon métier n’est pas de faire des POC, mais de livrer des projets de construction opérationnels qui sont aujourd’hui en service. Même si la France n’a pas été précurseure, ses projets intègrent de plus en plus de chapitres « smart building » dans les appels d’offres. Le besoin est présent. Il existe maintenant des labels, comme Ready to Services (R2S), qui certifient que l’infrastructure informatique est prête à supporter tous les services numériques du moment.
Nous avons inauguré, au côté de Bouygues Construction, des bâtiments qui intègrent et répondent à tous les enjeux numériques d’aujourd’hui : internet, IoT, cloud, big data, IA. Ces bâtiments sont parfaitement prêts à suivre l’évolution numérique de ces prochaines années et sont capables de déjouer les cyber-attaques ou d’y faire face.

A. P. – Plutôt que de parler de comparatif géographique, je distinguerais plutôt trois phases avec différents niveaux de maturité. La première c’est le déport de la commande qui est entré dans une phase de massification. On passe d’un interrupteur mural statique à un interrupteur sans fil repositionnable ou à un pilotage par la voix ou via une application. De nombreux acteurs grand public sont en train d’arriver sur ce marché (Ikea, Lidle, par exemple). On commence à aborder la deuxième, celle du reporting/coaching. Les données issues des capteurs sont analysées, comparées à d’autres pour établir des référentiels, optimiser des paramètres, détecter des anormalités, bref aider à l’exploitation de l’immeuble ou du logement. La phase 3 sera l’IA, avec la promesse de rendre autonome le bâtiment de demain ; il règlera seul ses paramètres, grâce à l’interopérabilité de ses équipements et la puissance de l’informatique : le bâtiment pourra détecter le nombre de personnes présentes dans une pièce via des capteurs de CO2 et sera capable de réguler éclairage et chauffage, par exemple.

QUELS SERVICES SPÉCIFIQUES PROPOSE WIZOM CONNECTED ?

A. P. – Le marché du smart building est très éclaté et nécessite un nouvel assemblage de compétences. Il est la conjonction de trois univers différents : le bâtiment, l’électricité et l’informatique. Chez Wizom connected, nous lions ces trois compétences au sein d’une seule société, et en synthétisons une nouvelle : la compétence smartbuilding. Grâce à cela, nous proposons des solutions clé en main : nous intervenons sur toute la chaîne de valeur (conception, intégration, installation et développement informatique). Nous mettons en œuvre des solutions s’appuyant sur des standards qui évitent à nos clients de s’enfermer dans telle ou telle technologie ou avec tel ou tel fabricant.
Au niveau digital, la plateforme nous appartient, et nous la maîtrisons intégralement.
Le Wizom de demain se voit en opérateur de services pour développer la valeur d’usage du bâtiment que nous évoquions au début de notre entretien. Les services peuvent être soit assurés par nous seuls, soit par un ensemble de partenaires choisis. Avec la promesse d’intervenir sur toute la chaîne de valeur.

IVIFLO A CRÉÉ UNE APPLICATION DÉDIÉE AUX USAGERS ET VISITEURS DE LA TOUR ALTO. QUELLES FONCTIONNALITÉS EMBARQUE-T-ELLE ?

Y. L. – Nous avons choisi le smartphone car c’est le seul outil qui apporte des services centralisés et agrégés, en mobilité. Il détient la puissance de calcul, son processeur est très avancé : il est plus rapide et apte que le PC classique d’il y a dix ans. Il permet de se connecter à tous les objets, de les faire discuter entre eux via internet (c’est le principe de l’internet des objets, l’IoT). Il va permettre les mêmes actions que sur un ordinateur de bureau – gérer son agenda, ses RDV, ses réservations de salles – mais de manière beaucoup plus intuitive et efficace.
Au départ, cette application, c’est comme un châssis de voiture qui porte une structure à laquelle il faut rajouter des options. Elle est livrée vide, et se remplit si l’employé ou le visiteur le souhaite. Il y a soixante-quatre services possibles, touchant au travail collaboratif, au bien-être, à la mobilité, à la sécurité, par exemple, et trois modes de présentation possibles, pour s’adapter aux préférences de l’usager : serviciel (les services sont hiérarchisés dans un catalogue), cartographique (le mode plan), ou fil d’actualité (l’usager est guidé dans son parcours du bâtiment).

J’AI TÉLÉCHARGÉ L’APPLICATION. VISITEUR, JE ME RENDS À LA TOUR ALTO. QU’EST-CE QUI RISQUE DE ME SURPRENDRE, DÈS L’ARRIVÉE ?

Y. L. – Vous n’aurez plus besoin de badge ; si vous avez téléchargé l’application, sécurisée par un identifiant et un mot de passe, le portique d’entrée s’ouvrira sur votre passage. Une cartographie du bâtiment vous permettra de repérer la salle de réunion où vous attendent vos collaborateurs ; vous serez guidé jusqu’à elle, vous ne pourrez pas vous perdre. De leur côté, vos collaborateurs sauront, grâce à l’application de géolocalisation, si vous êtes arrivé, où vous vous trouvez dans le bâtiment, si vous êtes sur le point de les rejoindre. L’application va répondre à une interrogation qui pourrait faire perdre du temps et de l’énergie. Ainsi un smartbuilding comme la tour Alto va concilier praticité et convivialité.

"Un smart building comme la tour Alto va concilier praticité et convivialité, service individualisé et collaboratif" (Yannick Lascaux)

EST-CE QUE LES SERVICES SERONT INDIVIDUALISÉS ?

Y. L. – Là encore, il s’agit de concilier deux choses difficilement conciliables : le service individualisé et le collaboratif. L’application répond à des besoins individuels tant qu’ils ne gênent pas la collectivité ; un usager n’aura pas la possibilité de baisser ou augmenter le chauffage ou l’éclairage d’un plateau, en revanche il pourra baisser le store qui se trouve juste à côté de son bureau. Et suivant ses modes de travail, de mobilité, ses choix de loisirs, l’application identifiera ses préférences et pourra lui proposer des services presque sur mesure.

EST-ON CAPABLE, À L’HEURE ACTUELLE, D’ÉVALUER L’INTÉRÊT DU SMART BUILDING EN TERMES DE RÉDUCTION DES COÛTS (ÉCONOMIE D’ÉNERGIE, DE CO2, DE FRAIS DE SANTÉ, ETC.) ?

H. M. – Si aujourd’hui tant de monde s’oriente vers la construction de smart building ce n’est pas un hasard. Il est plus économique, plus simple, plus sécurisé.

A. P. – Oui, on peut mesurer des critères objectifs sur certains sujets comme les économies d’énergie : une rénovation digitale d’une bâtiment ancien permet jusqu’à 30% d’économie et quand on le couple à une rénovation traditionnelle, c’est beaucoup plus. Mais pour d’autres sujets comme le bien-être, il s’agit de critères subjectifs et là c’est prématuré car il faut le critériser avant de le mesurer.

NUMÉRISER UN BÂTIMENT C’EST AUSSI L’EXPOSER AUX CYBER-ATTAQUES. COMMENT L’EN PRÉMUNIR ?

A. P. – Il ne faut pas faire peur aux gens mais une cyber-attaque c’est quelque chose d’inéluctable, et il faut intégrer ce risque dès la conception du bâtiment intelligent. Il s’agit d’abord d’assurer une protection au niveau du système et d’en contrôler la robustesse via des audits de sécurité.
Il faut aussi évaluer quelles sont les fonctions essentielles du bâtiment et mettre en place des mécanismes qui permettent de garantir leur disponibilité.

Y. L. – 80% des cyber-attaques sont liées à l’humain : des gens ont laissé collé à l’ordinateur un post-it sur lequel est noté leur mot de passe, par exemple. Dans 20% des cas seulement le système a été forcé par une méthode, un logiciel et un processeur.
Souvent la remise à niveau est insuffisante pour se protéger ; investir dans un nouveau matériel informatique, effectuer des mises à jour logicielles régulières, changer régulièrement de mot de passe, conserver ses données dans le cloud plutôt que sur une clé USB, ne pas laisser son écran allumé quand on quitte son poste de travail : voilà de bonnes pratiques à adopter.

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