Interview croisée de NICOLAS NOTIN, chef de projet santé urbaine et Grand Paris à l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France ; ANTHONY BÉCHU, architecte et directeur de l’agence Béchu + associés ; et MAXIME VALENTIN, responsable du développement durable et de l’innovation du projet Lyon Confluence
NICOLAS NOTIN, SI ON MET ENTRE PARENTHESES LA PANDEMIE ACTUELLE, PEUT-ON ESPERER VIVRE LONGTEMPS EN BONNE SANTE A PARIS ?
N.N. : À Paris intra-muros, les indicateurs d’état de santé sont globalement bons. On note une plus faible prévalence de pathologies chroniques, de maladies cardio-vasculaires que dans la plupart des régions françaises. Cependant, il existe d’importantes inégalités sociales et territoriales de santé dans la région : à titre d’exemple entre le 8e arrondissement de Paris et certaines communes du nord parisien nous observons un écart de sept à huit ans d’espérance de vie chez les hommes !
Au-delà de la pandémie actuelle, un des problèmes majeurs reste la pollution atmosphérique. Si on note une stabilisation, voire une légère réduction des taux de polluants (dioxyde d’azote, particules fines et ozone), ils restent toujours élevés au bord des infrastructures comme les routes nationales et départementales. Or, c’est un facteur aggravant ou déclenchant de maladies respiratoires (asthmes, bronchites), et même d’AVC. Les nuisances sonores reviennent neuf fois sur dix parmi les problèmes soulevés par les habitants, mais ne font pas actuellement l’objet d’une ingénierie renforcée.
QUELS PROBLEMES URBAINS LA PANDEMIE A-T-ELLE REVELES ?
N.N. : Les inégalités de santé d’un département à l’autre, fortement corrélées aux inégalités socio-économiques, est un sujet réaffirmé avec force par la crise de la Covid-19. La crise a touché les plus défavorisés, les plus exposés par leurs conditions d’emploi et de logement. La vulnérabilité de la Seine–Saint-Denis face au virus vient de facteurs comme la promiscuité, la surroccupation des foyers d’hébergement (jusqu’à cinq cents personnes vivent dans un foyer destiné à en accueillir deux cents), l’éducation, et l’exercice de métiers ne permettant pas le télétravail.
Par ailleurs, les communes fortement touchées par la Covid-19 sont également touchées par des problématiques de santé publique liées à l’insécurité alimentaire et la nutrition. Les jeunes publics touchés par la surmortalité souffraient dans de nombreux cas d’une comorbidité, comme le diabète ou l’obésité. Or si l’on compare des communes comme Neuilly-sur-Seine et Garges-lès-Gonesse, on constate que la prévalence y est quasiment cinq fois supérieure. Enfin, les territoires vulnérables, avec en première ligne les quartiers de la politique de la ville, souffrent particulièrement des nuisances environnementales (pollution et bruit), de difficultés d’accès à des espaces de ressourcement, et bien évidemment les enjeux de désertification médicale sont plus prégnants.
CES PROBLEMES POURRAIENT-ILS ETRE REGLES PAR L’URBANISME ?
N.N. : Ces questions sont multifactorielles : elles impliquent des évolutions sur l’ensemble des champs de l’action publique, mais les programmes d’urbanisme peuvent largement y contribuer et atténuer les ruptures urbaines et la ségrégation spatiale qui frappent nos territoires. Actuellement en Île-de-France, une trentaine de communes se sont emparé de cette question d’ »urbanisme favorable à la santé » (UFS), avec une vision systémique à long terme touchant au logement, à l’aménagement urbain, aux mobilités. Elles sont venues nous chercher sur les questions globales de santé – lutte contre les nuisances environnementales, promotion de modes de vie sain, accès aux soins et aux services médico-sociaux. Cela nous oblige à travailler ensemble et à nous mettre face à nos responsabilités respectives.
ANTHONY BECHU, COMMENT REPARER CETTE RUPTURE ENTRE PARIS ET SA BANLIEUE ?
A.B. : La capitale s’est ceinturée sans ouvrir ses branches aux villages et aux petites villes avoisinantes. Il faut maintenant les reconnecter, faire du périphérique un vrai boulevard urbain. Il faut remettre de la nature entre ces satellites et la grande ville, leur redonner leur fonction nourricière, recréer des potagers au milieu de Paris. Les paysans doivent avoir le droit de cité, en ville donc. C’est une question de bons sens quand on sait que 80 % de la nourriture mondiale est consommée dans les zones urbaines. Tout le monde est d’accord pour réintégrer la nature en ville et restaurer les écosystèmes. Mais cela ne se fera pas sans problème. La question des centres commerciaux, par exemple, se pose de façon urgente. Que va-t-on faire de ces boîtes à chaussures ? Une de nos équipes réfléchit à la question.
VOTRE FILLE, CLEMENCE BECHU, VOUS QUALIFIE DE MEDECIN DE L’ESPACE. QU’EST-CE QUE CELA SIGNIFIE ?
A.B. : Mon métier consiste à optimiser la vie des gens dans des espaces où ils passent la majeure partie de leur temps : on passe près de 80 % du temps dans un bâtiment ! La rue, la place ou la cour sur laquelle donnent logements ou bureaux, la manière dont on va y implanter la végétation et faire rentrer la lumière, les matériaux, la filtration de l’air, la hauteur sous plafond pour maîtriser la chaleur, les couleurs…, tout cela a un impact sur le bien-être.
On pourrait créer des espaces privés bien plus agréables à vivre en créant des parcours de gendarmes et de voleurs entre les espaces partagés et les espaces intimes. Une porte ouverte entre le salon et la chambre suffit pour s’échapper, réaliser d’autres parcours dans l’appartement ; elle évite de passer par le couloir desservant habituellement chambres et salle de bain. Psychologiquement, c’est un plus. Et il faudrait permettre l’existence d’une pièce supplémentaire, un lieu d’accueil, ou de télétravail, grâce à des subventions ou à la défiscalisation.
Enfin, on ne peut plus réfléchir à des appartements qui n’ont ni balcon ni terrasse, sans accès à l’extérieur, à la nature. Même au bord du périphérique ou d’une autoroute. Ainsi sur le site Spallis, au sud de Saint-Denis, au nord du carrefour Pleyel, nous avons créé un mur pare-bruit côté périphérique, et, côté ville, des cours-jardins sur lesquelles donnent ouvertures et balcons.
COMMENT CONJUGUER RESPECT DE LA BIODIVERSITE ET NOUVEAUX LOGEMENTS ?
A.B. : Les friches industrielles et leurs bâtiments délaissés sont à réinventer. Les terres polluées jouxtant la ville nécessitent des logements en synergie avec la nature pour la faire monter à la verticale sur les murs, les toitures. Et il y a tout un travail à faire pour « débitumiser », « désimperméabiliser » la terre et la régénérer. Il faut renaturer et dépolluer les sols – et l’eau – pour remettre les paysans en ville et permettre aux enfants de voir le ciel bleu. C’est le travail que nous avons initié en 2015 dans l’écocité de Shenyang. C’était tellement pollué au mercure qu’il suffisait de prendre un poisson sous le bras pour prendre sa température !
La nature est un ingénieur qu’il suffit d’imiter pour limiter au maximum notre empreinte écologique, selon les principes du biomimétisme. Nous avons fait monter la tour D2 à la Défense sur un tout petit terrain, entouré de bâtiments, en nous inspirant à la fois de l’arbre et de la nasse, et cela nous a permis d’économiser 30 % de matière : elle s’appuie sur un pilier central, en béton, un tronc d’où partent les branches, les planchers des étages.
L’exostructure – les feuilles de l’arbre –, dans laquelle des pies ont fait leur nid, s’élève pour créer la voûte, un jardin dans les nuages. La végétation s’y est installée ; des champignons et des limaces y vivent à 171 mètres de haut. À partir du 6e étage, il n’y a plus de pollution dans la terre des balcons et des terrasses.
Désormais, il faut également réfléchir à la flexibilité d’un bâtiment. Nous avons créé un atelier chez nous spécialement pour cela. Comment dessiner un bâtiment qui pourrait muer en autre chose ? Il faut redonner de la pérennité à ce qui devient obsolète au fil du temps. Tout raisonnement devra assurer cette flexibilité.
COMMENT FAVORISEZ-VOUS LA VIE D’UN QUARTIER ?
A.B. : Nous redonnons des racines aux lieux et aux êtres qui les ont perdues. Si on implante des gens quelque part sans leur donner des racines identitaires fortes, ils flottent.
On doit créer des lieux où l’on se sente chez soi ; il faut que l’on retrouve sa culture à l’intérieur de son quartier tout en étant raccordé à l’histoire du lieu. C’est fondamental. Ainsi un des grands problèmes futurs de l’Afrique viendra des migrations vers les villes, qui se sont agrandies sur les modèles américains. Or le village, la tribu, l’organisation sociale et sociétale d’où viennent ses futurs occupants appellent un urbanisme différent, pour que le paysan ait droit de cité, et pour que la ville devienne nourricière ; c’est un impératif. Le référent des villes, c’est la culture de ceux qui l’habitent. Louis Kahn, en Inde, a utilisé la brique, les matériaux locaux et les habitants, en arrivant, se sont dit : « C’est à moi, je suis chez moi. »
Ensuite, il faut y assurer une certaine mixité sociale pour gagner en vitalité. Un quartier doit être une petite ville dans la ville. C’est ainsi que nous avons pensé, par exemple, en association avec Alain-Charles Perrot, la Cité internationale de la gastronomie à Dijon, sur le site ancien de l’Hôtel-Dieu, un parc habité, un éco-quartier de 3,5 hectares, comprenant une école d’hôtellerie, des espaces culturels, avec son musée vivant de la gastronomie, des espaces de séminaires, des logements mixtes, des résidences pour les séniors et des espaces de coliving, ainsi que des espaces publics, comme des marchés…
Une réalisation urbanistique et architecturale, c’est comme un menu qui se déguste. Il faut que ce qui se donne à voir, à entendre, à sentir crée une harmonie dans laquelle on se sente bien.
VOUS CONTRIBUEZ DONC A FAIRE « LA VILLE DES PROXIMITES », PRONEE PAR ANNE HIDALGO ?
A.B. : La ville des proximités, on la fait depuis toujours en tant qu’architectes-urbanistes ! Je suis né d’un père et d’un grand-père qui se sont toujours interrogés sur l’usage, sur la fonction, plus que sur la forme et sur ce que le bâtiment va laisser derrière lui. Pour construire un quartier comme un bâtiment, on compose avec l’espace urbain et avec les habitants de cet espace. Dans nos bureaux, on se met à la place des gens en jouant des jeux de rôles de la manière la plus humble possible pour cerner les besoins auxquels nous nous soumettons. Et nous dialoguons avec le maire, les collectivités, on échange avec les habitants. Sans cette concertation, notre travail perdrait en intérêt, car l’échange enrichit également le dessin.
MAXIME VALENTIN, COMMENT AVEZ-VOUS MIS PROGRESSIVEMENT LA SANTE AU CŒUR DU PROJET LYON CONFLUENCE, UN PROJET DE REHABILITATION D’UN QUARTIER CENTRAL ?
M. V. : La question de la santé s’est posée de façon indirecte lorsque la SPL Lyon Confluence a initié le projet Lyon Confluence il y a vingt ans. C’est un quartier de 150 ha à la pointe sud de la presqu’île, au cœur de Lyon, à la confluence de la Saône et du Rhône. En tant qu’aménageurs, nous nous sommes posé la question du bien-être que nous voulions assurer aux habitants, à commencer par la qualité de l’air.
Nous nous sommes livrés à un travail de fond pour restaurer les trames urbaines vertes et bleues, végétaliser le quartier en plantant en pleine terre sur la quasi-totalité des îlots. Il y a une très faible proportion d’espaces souterrains construits. Nous n’avons créé qu’un seul parking en sous-sol, mutualisé, pour libérer les cours, les verdir et lutter contre les îlots de chaleur ; on y mesure l’été une température de 2 à 3 °C inférieure à celle des rues bétonnées. Les bâtiments traversant se ventilent de façon naturelle.
QUELS SERVICES DE SANTE AVEZ-VOUS MIS EN PLACE POUR GARANTIR CETTE QUALITE DE VIE ?
M. V. : Il y a cinq ans, dans le cadre de DIVD (Démonstrateurs industriels de la ville durable) lancé par l’État, nous avons créé Eureka, un consortium qui développe, entre autres axes de réflexion, celui de la santé et du bien-être en ville. Nous avons réalisé, au moment où nous l’avons défini, que nous ne travaillions pas avec le milieu de la santé. Nous avons reçu un accueil très favorable de la part des professionnels que nous sommes allés trouver – l’AST (action-santé-travail), des médecins généralistes, des pharmaciens, des infirmières de quartier – pour monter un projet, ensemble ; mais il restait à le définir. Des maisons de santé, il y en avait déjà à proximité. En revanche, au fil de la discussion, nous nous sommes aperçus que le problème de la prévention n’était pas traité ni structuré.
C’est un des îlots réalisés par Linkcity qui allait porter le projet, un bâtiment de 1 000 m2. Un niveau est consacré à la prévention. Les étages supérieurs accueillent médecins généralistes et infirmières. Alliance Santé, une équipe de trois opérateurs, s’est constituée spécialement pour le projet. Il s’agit d’Office santé – un opérateur de maison de santé –, des radiologues – qui manquaient à l’arrondissement –, et l’AST – la médecine du travail.
Cette synergie entre médecine de ville, médecine du travail et radiologie donne de la profondeur à notre réponse apportée à la question de la qualité de vie, en assurant des services de proximité à la fois de soin et de prévention. La médecine du travail oriente vers les médecins de l’espace de santé des étages supérieurs, ou prend directement les rendez-vous avec eux ; eux-mêmes renvoient au cabinet de radiologie les patients nécessitant un contrôle préventif (du cancer du sein, par exemple). On gagne en temps et en déplacement. Et on économise beaucoup d’énergie.
RESPECTONS LES GESTES BARRIÈRES. Les photos de cet article ont été prises avant la mise en place des mesures sanitaires Covid-19.
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