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Le retour des écomatériaux

Par Anne Borrel,

29 Janvier 2021

Des écomatériaux pour remplacer le béton, l’acier et l’aluminium : c’est une des préconisations du rapport du GIEC d’octobre 2018 pour nous donner une chance de plus de rester sous la barre des 2 °C de réchauffement climatique – si possible, des 1,5°C – et respecter l’Accord de Paris sur le climat.
« Écomatériau », mot courant depuis les années 1990, entré en 2019 dans Le Petit Robert, désigne « un matériau de construction dont l’utilisation respecte l’environnement » : pierre, terre crue (des matériaux dits géosourcés, d’origine minérale), ou bois, paille, chanvre, roseau (matériaux dits biosourcés, d’origine biologique, végétale ou animale). Pour le secteur du bâtiment, responsable d’un tiers des émissions nationales de gaz à effet de serre, selon une étude de l’ADEME et de Carbone 4 de juin 2019,, ces matériaux naturels sont d’un intérêt majeur. Leur extraction, leur récolte ou leur sciage nécessitent relativement peu d’énergie ; ils sont recyclables, réutilisables ou transformables avec un impact environnemental plus faible que d’autres matériaux. Leur durée de vie se compte en centaines d’années : même la paille de la maison Feuillette, à Montargis, dans le Loiret, construite en 1920, conserve aujourd’hui encore toutes ses qualités. Cerise sur le gâteau, certains matériaux géosourcés ou biosourcés offrent des caractéristiques thermiques – isolation ou inertie – formidables.

La réglementation environnementale RE 2020, opérationnelle à l’été 2021, « devrait rendre, à l’horizon 2030, l’usage du bois et des matériaux biosourcés », qui permettent de stocker le carbone, « quasi systématique, y compris pour les maisons individuelles et le petit collectif », annonce le dossier de presse transmis par le ministère de la Transition écologique, pour diminuer l’empreinte carbone des bâtiments d’un bout à l’autre de leur cycle de vie, de la construction jusqu’à la démolition, garantir leur confort durant l’hiver et les fortes chaleurs.
« En parallèle, un label d’État permettra aux maîtres d’ouvrage publics ou privés d’anticiper les futures exigences de la RE 2020, de montrer l’exemple et de préfigurer le bâtiment d’après-demain. »
Ces mesures impliquent une transformation profonde des types de bâtiments et des modes de construction, « qui exigeront que les compagnons et artisans modifient leurs pratiques et se forment. Cela est particulièrement vrai pour l’usage du bois et des matériaux biosourcés : [il] modifiera substantiellement les manières de concevoir, d’approvisionner et de mener les chantiers ».
Or un quart des bâtiments de la France de 2050 n’est pas encore construit, selon les projections retenues par le ministère de la Transition écologique – pour répondre à un besoin engendré notamment par la diminution de la taille des ménages couplée à la croissance démographique – et plusieurs enjeux économiques se dessinent à long terme.
D’abord, assurer aux éco-constructeurs l’approvisionnement en éco-matériaux. La terre, la paille, le chanvre ou le roseau ne manqueront pas, assurent leurs filières respectives. Mais les 500 carrières de pierre que compte la France ne peuvent être exploitées à l’infini. Et des menaces sérieuses pèsent sur la forêt, selon le rapport d’avril 2020 de la Cour des comptes sur La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques et environnementales : dérèglement climatique, surnombre de grand gibier qui gêne sa régénération, opinion défavorable à la chasse et à l’abattage des arbres.
Cette restructuration de la filière forêt-bois, déficitaire à cause de l’exportation (vers la Chine notamment), de grumes, c’est-à-dire de troncs d’arbres encore couverts de leur écorce, et de l’importation de produits transformés comme le CLT, est indispensable : « La France a une des plus grandes forêts d’Europe mais importe du bois pour construire, c’est donc qu’il y a un problème ! On doit réorganiser la filière, elle créera beaucoup plus d’emplois », tweetait le Président Emmanuel Macron en avril 2018. Seule une action publique ambitieuse permettra cette réorganisation, souligne la Cour des comptes. Ses préconisations — une nouvelle réglementation environnementale, une aide financière conséquente — ont été suivies. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, a annoncé le 22 décembre une aide de 200 millions d’euros pour le « repeuplement » de la forêt de 50 millions d’arbres. BPI France a lancé le 16 décembre 2020 un fonds bois et écomatériaux de 70 millions d’euros pour renforcer la filière : la balle est dans son camp.

Quelques acteurs et projets qui font parler d’eux

Les prémices des bâtiments de demain existent déjà. Souvent comparés aux maisons des trois petits cochons, les projets en paille, bois et terre des majors du BTP ou de jeunes promoteurs comme REI Habitat et Woodeum font les grands titres de la presse. Labellisées E+C- (bâtiment à énergie positive et réduction carbone), leurs constructions innovantes, inspirées du passé, ont poussé le projet de réglementation environnementale RE 2020 avant même de s’y soumettre. Elles « montrent l’exemple et préfigurent le bâtiment d’après-demain », pour reprendre les mots d’Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du logement, et pour cause.

TRACABILITE DES MATERIAUX

Faire usage d’écomatériaux, construire, autant que possible, avec ce qui se trouve à portée de main ou sous les pieds, c’est renouer avec des pratiques de bons sens que recommandait déjà Léon de Perthuis, il y a deux siècles, dans son Traité d’architecture rurale : « Si la localité ne présentait (…) aucune pierre propre à bâtir, [le propriétaire] serait forcé d’employer dans ses constructions ou le bois, ou la brique cuite, ou la brique crue, ou le pisé, suivant la nature des terres disponibles. Alors, après avoir consulté les ressources locales il assignerait, à raison de l’élévation qu’il faudrait donner aux murs de chaque bâtiment, l’espèce de matériaux fabriqués la plus économique et en même temps la plus convenable pour le degré de solidité que requiert sa destination. »
Le public prend plaisir à lire la provenance de la pierre de taille qui servira à ériger un ensemble de 283 logements porté par Verrecchia Construction – Le Metropolitan –, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) : la carrière Saint-Maximin en Île-de-France.
On aime apprendre que pour réaliser, dans le quartier de la Confluence, à Lyon, le projet imaginé par les cabinets d’architectes Clément Vergély et Diener & Diener pour Ogic – un immeuble de 1 000 m2 sur trois niveaux, en pisé, technique traditionnelle en région Rhône-Alpes –, l’équipe de Nicolas Meunier s’est servi de terre provenant d’un terrassement à moins de 20 km de là. Que la terre qui a servi à la construction de La maison des plantes de Ricola, à Bâle, en Suisse, le plus grand bâtiment en pisé d’Europe avec ses 110 mètres de long sur 29 de large et 11 mètres de haut, conçu par Herzog et de Meuron, construit par l’entreprise Lehm Ton Erde de Martin Rauch, provient en partie du site même, et d’une carrière située à 10 km. Que si ces bâtiments venaient à être détruits, ils retourneraient à la terre d’où ils sont tirés.
Dans la même démarche d’économie circulaire, les déblais du futur chantier parisien du Grand Paris Express vont servir à édifier tout un quartier en terre crue, d’ici 2030 à Ivry (Val-de-Marne), sur le site de l’ancienne usine des eaux de la ville de Paris. Ils seront transformés en briques dans une fabrique créée il y a deux ans à Sevran, puis serviront à la construction d’habitations en terre sur pilotis, posés sur un plan d’eau. L’architecte en chef de ce projet baptisé Manufacture-sur-Seine n’est autre que Wang Shu, Prix Pritzker 2012.
Les constructeurs s’engagent dans des démarches de traçabilité, comme dans la restauration. « Pour chaque poteau, chaque plancher, on peut dire quel est le fabricant, et de quel massif il est issu », assure Paul Jarquin, président-directeur général de REI Habitat, au cours de sa présentation de l’Hester, projet immobilier d’une vingtaine de logements, un « immeuble du terroir » livré début 2020 ; et de citer les forêts d’où proviennent le bois, majoritairement de l’épicéa : Grand Ouest, Massif central, Jura, Massif savoyard.
Construire avec des matériaux locaux lorsque c’est possible, et avec des partenaires locaux, c’est également l’ambition de Bouygues Bâtiment France Europe. L’entreprise a confié à des entreprises régionales la réalisation du siège du bailleur social Podeliha, à Angers : Piveteau Bois, une entreprise basée en Vendée, spécialisée en confection de panneaux de CLT, et Caillaud Bois, entreprise familiale de la région basée à Chemillé-en-Anjou, pour la pose des panneaux de plancher, la fabrication et la pose de la charpente, des poteaux et des poutres.

ARCHITECTURE NATURELLE ET BIEN-ÊTRE

Le retour à des matériaux locaux et à des partenaires locaux participe à l’essor d’une architecture dite naturelle, chère à Kengo Kuma – un mariage heureux entre l’architecture et le lieu : nous ressentons le bâtiment comme « naturel ».
Inspirée des temples japonais, la résidence Saint-Mandé, tout en bois, en structure comme en façade, apporte sérénité et légèreté à la résidence en béton des années 1970 au sein de laquelle elle a été construite, avenue Saint-Mandé, dans le XIIe arrondissement de Paris ; ses treize logements se confondent avec les arbres du jardin de la cour. Elle a été livrée par Bouygues Bâtiment Ile-de-France en septembre 2020.
En zone rurale, la cité scolaire végétale de Jean-François Daures, à Montpezat-sous-Bauzon, près d’Aubenas, livrée en 2014 et primée du grand prix Construction durable des Green Solution Awards en 2019, ne fait plus qu’un avec le paysage. Le végétal est partout : dans les superstructures en pin Douglas des Cévennes, en toiture, en parement et en paysage. Même la route qui longe l’école a été végétalisée. Il s’agit, explique l’architecte « de tirer l’espace vert de la prairie sur la cité scolaire, couverte d’une canopée végétale », et d’offrir une vitrine pédagogique de la biodiversité locale. Les instituteurs ont tous noté une nette amélioration du bien-être des enfants à l’école et de meilleurs résultats scolaires.
Dans l’usine occitane d’Aerem, en paille et bois, livrée en 2018 par l’agence toulousaine Seuil architecture, les ouvriers disent oublier l’hiver et le mauvais temps, qu’ils ressentent dans les bâtiments de béton. « Plusieurs études ont démontré les effets bénéfiques d’un environnement en bois sur la santé et le bien-être de ses occupants », rapporte le CHU d’Angers à La Dépêche datée du 2 mai 2019. « Cependant peu d’établissements hospitaliers l’utilisent en raison de sa surface poreuse présentée comme inappropriée dans des environnements sensibles aux infections microbiennes (nettoyage, contamination croisée, maladies nosocomiales…). » Pourtant, au Canada, des études montrent que des patients atteints de cancer guérissent plus vite dans un tel environnement.

Conçue comme « un écrin de bois suspendu au ciel » pour la Métropole du Grand Paris, la structure du centre aquatique de Saint-Denis sera principalement en bois. Le chantier, confié à Bouygues Bâtiment Ile-de-France, qui inclut également un franchissement pour Bouygues Travaux Publics, devrait débuter à l’été 2021 et s’achever fin 2023. Le centre aquatique accueillera les épreuves de waterpolo, plongeon et natation artistique lors des Jeux de 2024. Architecture VenhoevenCS & Ateliers 2/3/4/ - Image : Proloog

PROUESSES URBANISTIQUES ET ARCHITECTURALES

L’usage d’écomatériaux n’exclut pas l’audace architecturale. Le bois, cinq fois plus léger que le béton, permet de construire dans la capitale, déjà très dense, sur des parkings sous-terrain, – c’est le cas de la résidence Saint Mandé –, d’enjamber le périphérique porte Brancion, comme le fait le projet de résidence de trois bâtiments pour étudiants et jeunes sportifs de Woodeum, de surélever de cinq étages un supermarché pour réaliser une auberge de jeunesse et un bar restaurant, place de la Nation (Linkcity Ile-de-France).
Mais ce que célèbre surtout la presse, c’est « le plus haut bâtiment en bois jamais construit ». Mjøstårnet à Brumunddal, en Norvège, détient actuellement le record avec 85,4 mètres pour 18 étages. En France, la tour d’habitation Hypérion d’une hauteur de 57 mètres pour 17 étages, dont les travaux portés par Eiffage Immobilier dans le quartier Euratlantique à Bordeaux s’achèveront en mai 2021, va détrôner la plus haute tour de bois actuelle (38 mètres) de l’ensemble immobilier « Sensations », situé dans le quartier du port du Rhin à Strasbourg, livré par en 2019.
Le cabinet d’architectes français Rescubika Creations a bien proposé un projet de gratte-ciel en bois de 160 étages, baptisé Mandragore, qui s’enracinerait sur Roosevelt Island, à l’est de Manhattan, mais cela reste pour l’instant de l’ordre du rêve…

Structuration des filières

L’attrait croissant depuis la fin du XIXe siècle des nouvelles techniques – notamment le béton et l’acier –, la perte, pendant la guerre des hommes et des savoir-faire hérités de leurs aînés, ont affaibli depuis les années 1960 les filières du bois, de la paille et de la pierre. Mais elles n’ont pas disparu, et la mise en œuvre, en 2022, de la nouvelle réglementation environnementale, la RE 2020, pour assurer la baisse de l’empreinte carbone des bâtiments en incitant à l’usage de matériaux biosourcés, devrait conforter leur nouvel essor.

PRINCIPALES FILIÈRES

La filière paille, une ressource abondante en France dont 10 % de la production annuelle pourrait isoler la totalité des bâtiments, selon le Réseau français de la construction paille (RFCP), est la plus dynamique d’Europe, avec 500 constructions annuelles et de plus en plus de bâtiments isolés. Comme la filière chanvre, dont la France est le premier producteur européen ; rien de la plante ne se perd : la fibre (l’écorce) est utilisée comme isolant, et la chènevotte (bois central de la tige) convient à la fabrication d’enduits et de bétons végétaux pour la rénovation et la construction neuve. Quant à la pierre, elle compte encore 715 entreprises spécialisées, 4 000 emplois directs, pour un chiffre d’affaires de 515 millions d’euros, selon les chiffres de la filière pierre naturelle. Enfin, la terre crue, promue par l’association CRAterre , fera l’objet d’un « projet national », en cours d’élaboration par le ministère de la Transition écologique.
La filière forêt-bois a le plus de poids. Son activité, selon le rapport de la Cour des comptes sur La structuration de la filière forêt-bois, ses performances économiques et environnementales, d’avril 2020, représente 440 000 emplois (contre 1 200 000 pour la filière allemande) et 60 milliards d’euros : 20 milliards pour l’amont (l’exploitation forestière), et 40 milliards pour l’aval (l’industrie de la transformation de bois comprenant les constructeurs immobiliers, scieurs, charpentiers, menuisiers, énergéticiens, groupes papetiers, etc.)

PARADOXES DE LA FILIÈRE FORÊT-BOIS

Mais des paradoxes en série caractérisent la filière française, indique le rapport de la Cour des comptes, et freinent son développement.
La déforestation ne touche pas la France : ses forêts ont doublé en deux siècles, à cause du boisement spontané des terres agricoles abandonnées. Elles couvrent le tiers de l’Hexagone, et constituent l’une des plus grandes surfaces forestières de l’Union européenne, après la Suède, la Finlande et l’Espagne. Mais seule la moitié de son accroissement annuel est récolté, et elle souffre d’une mauvaise intégration entre l’amont et l’aval de la filière, entre l’offre et la demande : elle exporte moins de bois brut qu’elle n’importe de produits transformés, d’où un lourd déficit commercial de 7 milliards d’euros, publie Agreste Infos rapides – Bois et dérivés – en août 2019, qui s’est creusé de 4 % entre 2018 et 2019. Avec une surface forestière inférieure de 45 % à celle de la France, l’Allemagne dispose d’une production de sciages presque trois fois supérieure (23 Mm3 contre 8 Mm3 pour la France) ; l’Autriche dépasse également la France avec ses 9,6 Mm3 de sciages. Grâce à ses capacités de production supérieure à celles de la France, et ses prix nettement plus compétitifs, la concurrence étrangère est croissante. Seules sept entreprises françaises fabriquent aujourd’hui le CLT (pour « cross laminated timber »), le lamellé contre-croisé d’usage courant pour la construction d’immeubles en bois, pourtant inventé en France à la fin des années 1940.
Par ailleurs, même si la forêt est en pleine croissance, elle ne se régénère pas assez vite, que ce soit de manière naturelle ou par plantation : le grand gibier, dont la chasse est fortement régulée, s’est multiplié en une quarantaine d’années (par 11 pour les cerfs et les chevreuils, par 20 pour les sangliers), il mange ou piétine les jeunes plants, écorce les arbres. Les arbres sont également touchés par le dérèglement climatique, engendrant de fortes tempêtes, comme celles de 1999 et de 2009, et de fortes sécheresses comme celles de 2018 ; les arbres sont plus sensibles aux parasites (les scolytes, par exemple). Ces dégâts-là ne sont pas indemnisés par l’Etat, contrairement au secteur agricole. À ces problèmes s’ajoute une gestion difficile des forêts, à cause de son morcellement : le domaine privé, qui représente 74 % de la forêt française, se partage entre 3,5 millions de propriétaires. Un tiers d’entre eux seulement applique des engagements de gestion durable. Le prix du bois, qui a baissé de 40 % entre 1980 et 2015 alors que le coût du travail augmentait (75 % des coûts de production en forêt), a fait mentir l’adage « Le bois paie les travaux de la forêt », ajoute le rapport de la Cour des comptes. En 2019, « le prix de vente moyen des bois a en outre reculé de 10%, à 60 euros/m3, contre 66 euros/m3 en 2018, selon l’indicateur 2020 de l’interprofession France Bois Forêt. (…) Les prix des résineux ont reculé dans leur ensemble de 5%, une baisse évidemment plus marquée pour l’épicéa commun, dont le prix moyen a chuté de 22%, à 36 euros/m3 », précise « Le Figaro » du 18 mai 2020.
Enfin, bien que l’utilisation de bois, en tant que produit biosourcé, soit valorisée et que la forêt soit en expansion, son exploitation fait l’objet « d’inquiétude et de défiance », d’« éco-anxiété », pour reprendre les mots d’Anne-Laure Cattelot, députée du Nord, dans son rapport La filière bois et la forêt à la croisée des chemins : l’arbre des possibles (juillet 2020)

LA FILIÈRE BOIS : UNE RÉPONSE AU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE SOUTENUE PAR LE GOUVERNEMENT

Comme le souligne Fabrice Denis, directeur de la stratégie bois chez Bouygues Bâtiment France Europe, « si la forêt subit les conséquences du changement climatique, elle y offre aussi une réponse » ; « le bois de construction permet de réduire de de 15 à 20% les émissions de CO2 liées à la construction et l’exploitation d’un bâtiment ; et l’aval, avec sa demande croissante, va tirer l’amont ».
La future réglementation environnementale RE 2020, l’aide de 200 millions d’euros annoncée le 22 décembre 2020 par Julien Denormandie pour protéger la ressource forestière et planter 50 millions d’arbres, et le fonds bois de 70 millions d’euros créé par BPI France devraient permettre à la filière de se réorganiser avec plus de sérénité.

Son comité stratégique a annoncé le 14 décembre 2020 un « Plan ambition bois 2030 », « pour accélérer la mixité des matériaux et la réduction des émissions carbone », qu’il présentera en ce début d’année 2021.
« La filière bois est engagée dans une démarche d’ouverture vers tous les acteurs de la construction, pour partager son expertise et échanger sur les pratiques constructives de transition écologique. Loin des dogmes, elle est à la disposition de tous les acteurs qui souhaitent s’engager pour la neutralité carbone du bâtiment. L’enjeu que doit relever la RE2020 est aussi celui de l’acculturation de la famille des « bâtisseurs » à l’intégration des matériaux stockant et substituant le carbone. La filière bois soutiendra et facilitera cette évolution », annonce-t-il dans son communiqué de presse.

Bouygues Bâtiment France Europe affiche son ambition bois

Interview croisée de FABRICE DENIS, directeur de la stratégie construction bois de Bouygues Bâtiment France Europe et de MARC FRANCO, directeur de l’agence Coldefy Paris, en charge du projet Wonder Building de Novaxia, construit par Bouygues Bâtiment Île-de-France – Construction privée.

Comment Bouygues Bâtiment France Europe, “le bétonneur”, compte-t-il devenir leader de la construction bois dans dix ans ? D’autant que “construire en bois, ce n’est pas remplacer du béton par du bois”, souligne Fabrice Denis, directeur de la stratégie construction bois de Bouygues Bâtiment France Europe. Explications.

BOUYGUES BÂTIMENT FRANCE EUROPE A EXPRIMÉ L’AMBITION DE DEVENIR LA RÉFÉRENCE EN MATIÈRE DE CONSTRUCTION BOIS. FABRICE DENIS, COMMENT LA RÉALISER ?

F.D. – Grâce à une démarche de transformation, baptisée “WeWood”, avec trois objectifs. Le premier, que 30% des quelques 600 projets annuels de Bouygues Bâtiment France Europe comprennent, d’ici 2030, au moins 100 m3 de bois et/ou 500m2 d’ossature bois, pour limiter notre empreinte carbone, puisque le bois, un matériau renouvelable, a la vertu de séquestrer et de stocker le CO2.
Notre deuxième objectif : permettre une expérience fondamentalement différente à l’ensemble des parties prenantes du chantier car la construction bois est plus rapide, génère moins de nuisance et facilite le travail des compagnons. Cinq à six fois moins de camions viennent livrer les matériaux. Et comme la construction bois est plus ergonomique, elle offre la possibilité d’accueillir plus de femmes sur nos chantiers.
Enfin, le bois est un excellent vecteur d’accélération pour reconsidérer notre métier et construire autrement. Construire en bois, ce n’est pas remplacer du béton par du bois.
Le béton se coule sur le chantier et s’adapte à toutes les dimensions, il suffit d’avoir un coffrage différent. Il permet des arrangements de dernière minute. Le bois oblige à davantage de co-conception, et « à penser » le projet très en amont. Murs, poteaux, poutres ne sont pas fabriqués sur le chantier mais en usine, avant d’être apportés sur le site ; aussi la maîtrise d’ouvrage doit-elle concevoir le projet en fonction des capacités des industriels, en considérant tous les corps d’état architecturaux : ce qui caractérise la construction bois, c’est aussi le complexe global bois et second œuvre (isolation, placo) qui doit être conçu pour répondre aux contraintes acoustiques, thermiques, incendie.

MARC FRANCO, VOUS ÊTES ARCHITECTE EN CHARGE DU WONDER BUILDING DE NOVAXIA À BAGNOLET, DONT LES TRAVAUX REVIENNENT À BOUYGUES BÂTIMENT IDF. EN QUOI CE PROJET, QUI SERA LIVRÉ EN OCTOBRE 2022, EST-IL EMBLÉMATIQUE DE LA CONSTRUCTION BOIS ?

M. F. – Dans ce bâtiment de 27 000 m2, le bois est quasiment partout – poteaux, poutres, planchers, escaliers… – excepté en façade car le bois grisaille avec le temps et ce n’est pas du goût de tous. En revanche il sera apparent à l’intérieur, protégé par une lasure blanche laissant les veines du bois visibles.
Le bois contribuera à faire de ce bâtiment un lieu vivant. Le bois vieillira doucement, se fendillera par endroit, sans cesser d’apporter aux occupants bien-être et chaleur.
Les arbres des terrasses-belvédères ouvertes sur Paris et Bagnolet, ou ceux du patio intérieur évolueront eux aussi d’une saison à l’autre, d’une année à l’autre.
Les occupants eux-mêmes feront du Wonder Building un lieu de vie, en empruntant les escaliers déportés sur les façades transparentes, donnant sur rue, devenus espaces d’usage… Et en rendant l’intérieur du bâtiment visible à l’extérieur, en faisant entrer l’extérieur à l’intérieur du bâtiment, grâce aux commerces implantés en pied d’immeuble, nous avons doté le bâtiment d’une capacité d’échange entre les salariés et les riverains.

FABRICE DENIS, BOUYGUES BÂTIMENT France EUROPE N’A PAS RÉSERVÉ LA CONSTRUCTION BOIS À UNE ENTREPRISE DÉDIÉE, POURQUOI ?

F. D. – Nous avons écarté cette idée parce que c’est un sujet de transformation culturelle. C’est comme passer de l’essence à l’électrique pour un constructeur automobile, ou, pour Total, du pétrole au solaire. Pour opérer cette transformation, toutes nos entreprises, toutes nos filiales s’initient à la construction bois et à ses enjeux.
A cette fin, nous avons créé une “WeWood Academy”, qui propose à tout le personnel de l’entreprise une offre de formations structurée. En complément, la “WeWood Community”, favorise le partage d’expériences entre collaborateurs et la capitalisation de connaissances, notamment grâce à des “amboissadeurs”, souvent des jeunes ; un novice qui veut mener à Brest un projet de construction en bois pourra s’appuyer sur l’expérience d’un collaborateur à Lyon, par exemple. Enfin, nous allons construire un “club” hyperpartenarial, incluant PME, startups, architectes, pour développer des écosystèmes.

MARC FRANCO, COLDEFY TRAVAILLE DEPUIS LONGTEMPS AVEC BOUYGUES CONSTRUCTION. QUEL AVANTAGE EN TIREZ-VOUS, DE VOTRE CÔTÉ ?

Notre métier d’architecte est comparable à celui de chef d’orchestre ; nous avons une vision globale de la partition à jouer : l’interpréter avec des spécialistes de haut niveau, c’est très agréable !
Nous travaillons ensemble depuis vingt ans et j’apprécie leur savoir-faire. Ce sont de grands professionnels des bâtiments. Ils ont une force de frappe assez incroyable, avec des ingénieurs spécialisés.
La formation, c’est ce qui manque dans nos métiers. Leur transmission du savoir s’opère sur le terrain, entre spécialistes et novices, entre séniors et juniors. C’est un plaisir de voir ça sur les chantiers.

F. D. – Notre première priorité, c’est apprendre à construire en bois, former, avoir des ressources en ingénierie. Nous nous sommes dotés d’un pôle d’excellence de trente ingénieurs experts, tous passionnés, quasiment des activistes ! C’est un bonheur de piloter ces jeunes, car ils veulent faire évoluer les mentalités.

QUELLES SONT VOS AUTRES PRIORITÉS ?

F. D. – Notre deuxième priorité, c’est nous assurer que le bois est issu de forêts gérées durablement, et que tous nos bois soient certifiés PEFC et FSC. WWF accompagne Bouygues Construction vers un approvisionnement responsable en bois.
La troisième, favoriser les circuits courts et les emplois locaux, utiliser quand c’est possible du bois de la région, ou du bois français, même si cela nous revient plus cher. Nous sommes d’ailleurs en train de construire des contrats-cadre instaurant un certain pourcentage de bois français dans nos constructions. Chaque appel d’offres est une opportunité de construire des écosystèmes, car c’est notre intérêt collectif à long terme.
Le choc de la demande pour le bois stimulera à la fois une meilleure exploitation de nos forêts et l’industrie française du bois. Il y a 400 000 emplois liés à l’industrie du bois en France, 1 200 000 en Allemagne !
La demande accélèrera aussi la recherche. Nous poussons, par exemple, une dizaine de programmes de R&D dont un avec un lamelliste de Normandie, pour faire du lamellé-collé en hêtre, propre à la réalisation de poteaux, poutres, plancher ou voiles.

Y A-T-IL VRAIMENT UNE DEMANDE POUR LE BOIS ?

F. D. – La demande est exponentielle. En 2020 elle a été trois fois plus forte qu’en 2019. Les vertus hygroscopiques du bois sur la santé ont été prouvées : dans un hôpital en bois, les gens se soignent plus vite, leurs battements de cœur diminuent. Le bois crée un environnement apaisant. Et puis il permet de dessiner de magnifiques projets, pas seulement des immeubles de grande hauteur. Les investisseurs et utilisateurs sont également sensibles au bilan carbone de la construction. Un bâtiment en bois évite 60% des émissions de CO2 d’un bâtiment en béton sur la partie structure, et 20% tous corps d’état. Certes, à l’achat, un bâtiment en bois est plus cher qu’un bâtiment comparable en béton, mais le coût global dans la durée est inférieur : il permet des économies de chauffage, une location plus facile et plus élevée, il génère donc des revenus supplémentaires.

M. F. – Oui, il y a un fort intérêt pour le bois, avec la prise de conscience de l’état de notre planète. Mais il faut être modéré sur l’utilisation des matériaux, que ce soit le bois, le béton ou l’acier et n’en surexploiter aucun.

LA RÉVERSIBILITÉ DES BÂTIMENTS EST UN ENJEU DE CONSTRUCTION DURABLE. UNE CONSTRUCTION EN BOIS S’Y PRÊTE-T-ELLE PLUS QU’UNE CONSTRUCTION CLASSIQUE, EN BÉTON ?

F. D. – Le bâtiment de demain va être plus flexible, plus hybride. Le bois permet de faire évoluer le bâtiment dans le temps pour qu’il s’adapte aux évolutions successives des modes de vie. Les procédés constructifs, comme le vissage, permettent de reconfigurer plus facilement l’espace intérieur que dans un immeuble en béton dont les connexions sont faites en béton armé. Cela aussi contribue au confort mental des utilisateurs, qui expérimentent, dans un contexte de densification urbaine parfois stressant, un habitat naturel et apaisant.

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