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Le béton auto-cicatrisant

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Gels, champignons ou bactéries, plusieurs pôles de recherche dans le monde travaillent sur des procédés proactifs de béton auto-cicatrisant, en anticipant les fissures dès la conception ou la mise en place du béton.
beton auto-cicatrisant
L’importance du béton n’est plus à prouver. Utilisé comme matériau de construction depuis l’époque antique, ce serait aujourd’hui la deuxième substance la plus consommée sur terre après l’eau. Mais le béton craque. Cette conséquence est systématique, et donc attendue. Toutefois cela n’empêche pas que les réparations opérées après la mise en service soient coûteuses et techniquement difficiles. Gels, champignons ou bactéries, plusieurs pôles de recherche dans le monde travaillent sur des procédés proactifs de béton auto-cicatrisant, en anticipant les fissures dès la conception ou la mise en place du béton.

La fissuration du béton, un phénomène courant et ancien

La fissuration du béton est un phénomène courant qui intervient pour diverses raisons : la nature de sa composition, son temps de séchage, les efforts de traction appliqués ou les vibrations pour n’en citer que quelques-uns. Les fissures sont acceptables dans la mesure où elles ne remettent pas en cause la stabilité et la durabilité de l’infrastructure. L’utilisation de polymères permet de reboucher les fissures et redonner de la résistance au matériau, notamment si on ajoute un produit anticorrosif qui vient limiter la corrosion des armatures. On s’aperçoit que des constructions byzantines (IVème siècle ap. J.C) comme la Sainte-Sophie à Constantinople ou des constructions romaines contiennent des cristaux résultant de réactions chimiques causées par des silicates de calcium et de l’eau, évitant ainsi l’agrandissement des fissures un certain moment après la mise en service du bâtiment. Ce phénomène d’auto-cicatrisation du béton n’est donc pas nouveau et provient soit de l’hydratation du ciment résiduel soit de la carbonatation (piégeage du CO2 ambiant). Cependant, cela ne peut concerner que des fissures relativement petites de quelques dixièmes de millimètres. Plusieurs pôles de recherches travaillent depuis ces dernières années sur des procédés de béton auto-cicatrisant, aussi appelé béton auto-réparant ou auto-régénératif. Les pistes de solutions reposent sur l’exploitation de bactéries, de champignons ou de gels.

Les solutions

L’utilisation de bactéries est une solution pour favoriser cette auto-cicatrisation. L’idée est de produire du carbonate de calcium par des bactéries ou des micro-organismes et un bouillon nutritif. L’idée n’est pas nouvelle, car cette bio-minéralisation est utilisée depuis une vingtaine d’année pour le traitement de la pierre par la société Amonit sous la forme de patch : le Café de la Paix ou la Chambre de Commerce de Toulon ont déjà été traitées il y a plus de 10 ans avec du béton auto-cicatrisant. L’idée ici est de l’intégrer au béton lors de sa fabrication afin qu’il ne s’active que lors de l’apparition d’une fissure. Depuis une dizaine d’année, la recherche s’anime sur ce sujet. Des articles récents font état d’une équipe de chercheurs de l’université de Colorado travaillant sur l’intégration de la photosynthèse au béton. Le principe consiste en l’introduction de bactéries dans le béton, pour capter la lumière et le dioxyde de carbone présents dans l’air afin de produire du carbonate de calcium. Ce « béton vivant » serait une manière de colmater les fissures du béton mais cette piste nécessite de nombreux ajustements comme la durée de vie des bactéries et les capacités physiques du béton par exemple. D’autres équipes de chercheurs exploitent le potentiel des bactéries évoqué plus haut. A l’université de Delft, des recherches ont été menées sur l’incorporation de bactéries et de lactate de calcium dans des capsules d’argile, intégrées comme granulats dans la fabrication du béton. Les capsules se fissurent en même temps que le béton et provoquent l’activité bactérienne, à l’origine de la production de carbonate de calcium venant colmater les fissures. Auto-cicatrisant ! Dans la même lignée, des chercheurs des Etats de New York et du New Jersey travaillent sur l’implémentation dans le béton de champignons. Comme les bactéries, ils réagiraient à l’eau et l’oxygène apportés lors de la fissuration du béton et produiraient du carbonate de calcium qui viendraient boucher les fissures. Lire aussi : Du béton tricoté

Mise en pratique et concrétisation sur le marché

Le principe développé par les chercheurs de l’Université de Delft a été testé à partir de 2011 et s’est concrétisé par un produit pour béton auto-cicatrisant, en collaboration avec l’Université. La solution commercialisée par la startup néerlandaise Basilisk peut être utilisée sur des structures existantes ou nouvelles. Elle peut réparer les fissures jusqu’à 0,8mm de large sur les infrastructures déjà existantes et a notamment été testée sur un parking à Apeldoorn aux Pays-Bas. D’autre part, l’utilisation sur les nouvelles infrastructures permet de prévenir les fissures jusqu’à 1mm de large, une fois la solution mélangée au reste des constituants du béton lors de la préparation du béton. Ce procédé a été utilisé pour le projet de construction de bassin d’eau en béton, dans le port de Rotterdam en 2017. En Belgique, un test récent à échelle réelle a été effectué sur un principe similaire dans la dalle de couverture d’un regard de visite en béton. La solution autocicatrisante à base de bactéries a été ajoutée dans la bétonnière avant coulage. Si les résultats obtenus dans le laboratoire sont encourageants, il est trop tôt pour que les chercheurs belges puissent tirer des conclusions sur l’application de cette méthode. En effet, si les conditions sont réunies pour une bonne auto-cicatrisation, le béton n’avait pas encore fissuré lors d’une inspection un an après. Cependant, c’est un pas important pour convaincre les acteurs de la construction de l’intérêt de la méthode d’auto-cicatrisation du béton, d’autant plus que les solutions se multiplient. Si les retours d’expériences d’application à taille réelle de ce béton auto-cicatrisant sont peu nombreux, c’est également parce que le coût de cette méthode est conséquent. A ce jour et d’après les estimations de la startup néerlandaise, il faudrait doubler le prix au mètre cube par rapport à un béton classique. Il est également difficile de savoir à partir de quelle taille de fissure le procédé n’est plus opérant, et quelle continuité mécanique offre cette auto-réparation. A défaut, elle assurerait un rôle de protection vis-à-vis de la durabilité. Un sujet délicat est également la résistance des capsules notamment dans les phases de malaxages du béton qui peuvent les casser et donc altérer ou annuler l’efficacité de la solution. Sur le même sujet, des chercheurs s’intéressent à des polymères sous la forme de gels qui une fois intégrés à des matériaux, absorberaient le CO2 de l’air ambiant pour se renforcer et se solidifier. Ils ne sont aujourd’hui pas assez résistants pour être considérés comme des matériaux de construction. Les recherches se poursuivent…