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Quartier bas carbone 2040 : scénarios et outils pour concevoir autrement

6 minutes de lecture
Interview de Françoise Cadiou, chef de projet au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
Françoise Cadiou
En 2015, l’Accord de Paris actait le retour d’une ambition internationale en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Dans la foulée, le Giec fixait les objectifs pour espérer limiter la hausse de la température moyenne à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels : réduire de 45% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Responsables de 67% des émissions de GES à l’échelle mondiale, les villes sont en première ligne face à ce défi. Quels sont les leviers d’actions et quelles peuvent être les échelles pertinentes ? C’est ce qu’explore le projet d’innovation interdisciplinaire Quartier Bas Carbone 2040 (QBC40), mené par l’Ideas Laboratory et le Centre Michel Serres et commandité par le Groupe Bouygues, le Conseil départemental des Yvelines et l’Union Française de l’Electricité (UFE). Explications avec Françoise Cadiou, chef de projet au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Comment est né le projet Quartier Bas Carbone 2040, et quels sont ses objectifs ?

Ce projet fait suite à deux études menées de septembre 2019 à février 2020 :
  • POLETE #1 (projet d’organisation locale et environnementale de la transition énergétique) porté par l’Ideas Laboratory pour le compte du Groupe Bouygues, de Faurecia et du CEA pour explorer des scenarios énergétiques de convergence Mobilité-Bâtiment-Energie ;
  • « Quels modes de vie énergétiques locaux en 2030 ? », porté par le Centre Michel Serres pour le compte du laboratoire d’innovation du Groupe Bouygues (ELAB) et destiné à imaginer des scenarios orientés usages en fonction de ruptures sociales, politiques et technologiques.
Le projet QBC40 (POLETE #2) s’inscrit donc dans une dynamique d’exploration partenariale existante, avec l’ambition d’explorer les potentiels de conception, de programmation et d’animation de quartiers bas carbone à l’horizon 2040. La première étape a consisté à consolider une vision 2040 et la dynamique d’évolution du système énergétique à l’échelle d’un quartier bas carbone. Dans un second temps, nous avons identifié des trajectoires sous la forme de scénarios prenant en compte les évolutions technico-économiques, réglementaires et d’usages ainsi que les nouveaux modèles de gouvernance. A l’issue du projet, nous proposerons des outils pour intégrer ces scénarios dans un programme d’aménagement concret à l’échelle d’un quartier.

Vous avez travaillé dans une approche ouverte et interdisciplinaire, impliquant de nombreux partenaires et contributeurs. Quel est l’intérêt d’une telle approche et sur quelle organisation a-t-elle reposé ?

L’approche pluridisciplinaire et collaborative est une condition sine qua non sur des sujets aussi complexes, dont les enjeux peuvent nous dépassent. Le croisement des expertises enrichit la réflexion et assure la complémentarité. Le CEA développe des modélisations de mix énergétiques maillant les échelles locales et territoriales, l’OpenLab Ideas Laboratory mobilise son expertise méthodologique dans la construction de scénarios, tandis que le Centre Michel Serres (CMS) apporte son décryptage de l’évolution des modes de vie et des usages à l’échelle des territoires. A ce titre, le CMS a sélectionné une équipe de 8 étudiants d’horizons divers (sciences politiques, ingénierie, architecture, …) qui a été mobilisée sur le projet pendant 6 mois, à raison de 3 jours par semaine. La présence de partenaires apporte une dimension opérationnelle au projet. Les métiers de la construction du Groupe Bouygues (Bouygues Construction, Bouygues Immobilier, Colas), Vicat (cimentier), le Conseil départemental des Yvelines, la Ville de Sartrouville, l’Union Française de l’Electricité ont apporté leur vision et leur expertise dans le cadre de deux ateliers collaboratifs.

Les problématiques d’usages sont au cœur de la démarche. Pourriez-vous nous expliquer ce choix et son impact sur la méthodologie et les outils ?

Nous étions convaincus dès le démarrage du projet de l’insuffisance d’une approche technique et experte de la vision bas carbone. Au-delà des solutions techniques et des expertises publiques et privées, l’acceptation et l’engagement des usagers sont essentiels pour opérer une véritable transition. Dès lors, la problématique se recentrait : comment intégrer les usagers au cœur d’une démarche de quartier bas carbone et comment resynchroniser les savoirs experts et usagers pour favoriser l’émergence de modes de vie bas carbone ? Ce questionnement a guidé la méthodologie et la conception des outils. Les étudiants du CMS ont ainsi imaginé un « réseau des quartiers en transition » qui accompagne les liens entre quartiers et entre acteurs (citoyens, entreprises, collectivités, associations, …). Un site internet Quartiers en transition a été créé afin de doter ce réseau d’outils pour susciter l’engagement, engager les acteurs, dialoguer, partager et développer des méthodologies avec les acteurs. Chaque brique du site contribue à ces objectifs. L’outil « je trace mon quartier », une cartographie interactive permettant aux usagers de partager ou de projeter leur vision du quartier, et le podcast « Pas de quartier » qui déconstruit les idées reçues entravant les transitions écologiques et sociales accompagnent par exemple l’objectif « Susciter l’engagement ».

Dans le cadre de ce projet, le CEA a développé un configurateur d’empreinte carbone, Conemca. Comment l’outil est-il conçu et comment s’intègre-t-il dans le projet ?

Conemca est né d’un cheminement avec les partenaires qui a conduit à identifier l’empreinte carbone en tonnes équivalent CO2 par habitant et par an comme « paramètre champion » pour le système quartier en transition. L’ambition, déclinée de la Stratégie Bas Carbone, serait de passer de 4,5 à 0,5 t CO2 eq / hab . an. Mais que veulent dire ces données issues de statistiques nationales moyennées ? Comment prennent-elles en compte la diversité des quartiers et surtout comment permettent-elles de mettre en place des choix de scénario bas carbone adaptés, acceptés, efficaces et durables ? Ainsi, le concept Conemca permet de représenter les grosses contributions aux émissions de gaz à effet de serre issues des activités directement liées au quartier. Cet outil est à insérer dans une démarche collective qui engage les parties prenantes dans un projet de quartier, nouveau ou existant. Il leur permet de créer le modèle énergétique du quartier, de vérifier sa cohérence d’ensemble et fournit deux évaluations globales : l’une en euros et l’autre en tonnes de CO2 émises. Le caractère innovant de Conemca – qui ne prétend pas à la précision dans chaque domaine d’expertise, comme le font très bien d’autres outils – réside dans l’approche d’ensemble du système énergétique du quartier et de sa connexion au système énergétique national. Conemca apporte une réponse très simplifiée à un problème complexe, celui de la variabilité de la production et de la consommation. Conemca est complémentaire d’un autre outil conçu par les étudiants du Centre Michel Serres : le profil d’usages. Cet outil diagnostic segmente des catégories de population à partir de moyennes nationales en fonction de leurs usages relatifs aux enjeux carbone : alimentation (ex : fréquence de consommation de viande rouge), mobilité, numérique, etc. Il donne une vision globale de l’impact des modes de vie des usagers sur l’empreinte carbone du quartier et esquisse des axes de travail spécifiques pour le quartier. Une fois ce diagnostic posé, l’outil Conemca permet de définir des scénarii optimums en termes d’empreinte carbone pour le quartier, à partir de données nationales et des données locales disponibles. Les scénarios sont ajustés en permanence grâce à l’ajout progressif de données locales par les acteurs.

Quelles sont les prochaines étapes et les perspectives ?

Le projet est renouvelé pour une période de 6 mois avec le Centre Michel Serres. Les priorités sont dorénavant de poursuivre la production de contenus du site Internet, d’approfondir les outils destinés à la phase diagnostic, de concevoir des outils adaptés pour la phase de programmation, mais aussi de tester la méthodologie sur le terrain, grâce aux partenaires du projet. Les Villes du Vésinet de d’Aigremont, avec le soutien du Conseil départemental des Yvelines, ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt pour expérimenter la méthodologie. Du côté de l’Ideas Laboratory, une saison POLETE#3 est également à l’étude pour 2021. Elle aurait pour objectifs de :
  • Valider et rendre robustes scientifiquement les hypothèses et variables du dispositif de comptabilité (empreinte carbone et coût)
  • Designer et tester le concept Conemca (interface utilisateurs, fonctionnalités) sur des quartiers ciblés (en lien avec le Centre Michel Serres et leur terrain d’expérimentation)
  • Qualifier le cahier des charges d’une première version déployable à court terme.
Un tel projet nécessite l’identification et la participation d’un écosystème d’acteurs, référents et « data providers » dans les différents domaines (énergie, mobilité, bâtiments etc.), afin d’expérimenter la co-construction de scénarios bas carbone et de nouveaux modèles de gouvernance à l’échelle quartier.