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Pourquoi la ville doit être pensée pour les enfants

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Sur les trottoirs de nos quartiers, les cris des enfants sont de plus en plus rares. Ils laissent place aux bruits des voitures et aux adultes pressés qui semblent ne plus savoir s’arrêter, vagabonder, flâner… En quoi est-ce dommageable pour l’accessibilité de nos villes ? Et cette disparition des enfants dans l’espace public est-elle inéluctable ?
Une rue aux enfants en ville

Faire de la ville un terrain de jeu

Les zones de jeu en ville jouent un rôle majeur dans le développement des enfants et leur devenir en tant que citoyens. Le jeu a notamment une fonction essentielle dans la formation physique et psychologique des enfants. « Le propre de l’enfant est de jouer », rappelle le philosophe Thierry Paquot, auteur du livre Pays de l’enfance (2022). C’est par le jeu que l’enfant apprend et acquiert des compétences qui lui permettront de naviguer dans le monde urbain : identifier les routes et les trottoirs, se repérer, mesurer les risques… Le jeu permet également d’« apprendre à anticiper le danger, à le maîtriser, et à ressentir (…) grimper, aller vite, se servir d’outils dangereux, être près d’éléments dangereux, se battre, et se promener seul, hors de la vue d’un adulte » explique Ellen Beate, professeure en sciences de l’éducation. Hélas ! Les équipements et les espaces urbains pour enfants, très standardisés, laissent peu de place à la découverte et à l’exploration. Les activités des plus jeunes sont restreints à des espaces dédiés (parcs, marelles, etc.) ou à des magasins et centres commerciaux. Concevoir la ville comme un lieu de découverte et un terrain de jeu constitue donc un changement de paradigme, qui nécessite de repenser beaucoup les espaces publics. Il s’agit de prendre en compte les besoins des différentes populations, dans un urbanisme qui encourage l’exploration, la rencontre et le jeu.

Le temps passé à l’extérieur décline dans les pays occidentaux

« L’endroit où j’aime le plus jouer c’est ma chambre. C’est là que je passe le plus de temps… » explique une jeune Marseillaise de 7 ans. Eh oui ! Le temps de jeu des enfants à l’extérieur est passé de 3-4 heures par jour dans les années 1960 à 47 minutes en moyenne aujourd’hui (Fondation ProJuventute, 2019). On assiste ainsi au déclin de la présence des plus jeunes dans les espaces publics au profit d’endroits privés et clos. Cela s’explique d’abord par le développement hégémonique de la voiture en ville, et tous les aménagements associés. Les rues deviennent ainsi dangereuses pour les habitants,en particulier pour les enfants. En parallèle, le temps passé à l’intérieur, notamment sur les écrans (télévision, ordinateur, tablette, téléphones…) a augmenté.  Enfin, avec la dangerosité grandissante de l’espace public évoquée plus haut, des changements culturels ont vu émerger de « nouvelles normes de responsabilité parentale ». Désormais, celui qui se désintéresse des faits et gestes de ses enfants dans les espaces publics est défini comme un « mauvais » parent» (Lehman-frisch S, et al. 2016). Un paradigme qui décourage les adultes à laisser leur progéniture jouer dehors, sans surveillance.
Dans les pays de l’OCDE, 85 % des enfants de 5 à 6 ans allaient à l’école à pied en 1980. Ils sont seulement 8% aujourd’hui.      Thierry Paquot, philosophe.

Pour un urbanisme à l’écoute des enfants  !

Face à ces constats, il est urgent de réinterroger les acteurs de la fabrique de la ville face aux attentes des plus jeunes. Bouygues Construction et sa filiale Linkcity contribuent à cette réflexion nécessaire, en proposant d’aborder la ville par le prisme de l’enfance. L’équipe Prospective du Groupe a publié en mars une note de tendances, « Penser la ville à hauteur d’enfants » qui recense des initiatives, partout dans le monde, visant à mieux intégrer les besoins des enfants dans la conception urbaine. Dans cette même perspective de partage d’expérience, une conférence a été organisée à Marseille, mêlant partenaires, chercheurs, experts internes, élus, associations et acteurs privés, pour échanger autour d’initiatives diverses : les Enfants dehors à Montpellier, le Grand Bain à Marseille, Citizen Kid… En parallèle, les organisateurs ont souhaité recueillir la parole et le vécu des enfants. Un atelier a ainsi été organisé par l’association CitizenCorps, Bouygues Construction et Linkcity Sud-Est. Celui-ci a permis aux élèves de deux écoles marseillaises de se rencontrer et d’échanger sur leur expérience de la ville.

Remettre le citoyen au cœur de l’urbanisme

Les récits recueillis auprès des enfants témoignent des besoins par rapport aux espaces urbains.  Ces attentes des plus jeunes, mais aussi celles des personnes âgées et vulnérables, ne figurent pas dans les priorités des promoteurs immobiliers.
« Les enfants semblent être les oubliés de nos villes », regrette à ce sujet le philosophe Thierry Paquot. Il est important d’inverser cette dynamique et de créer des canaux pour récolter et faire remonter ces besoins aux décideurs de la ville.
Le prisme de l’enfance est donc une clé pour remettre le citoyen au cœur de l’urbanisme. Il permettrait d’humaniser nos villes pour qu’elles prennent en compte les attentes et besoins de tous les habitants : « L’enfant est celui qui nous ramène à un espace de rapport sensible et organique à la ville (qui) nous invite à penser la ville de l’usager », évoque Mathilde Chaboche, adjointe au Maire de Marseille chargée de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville.

La rue au centre des initiatives

Mieux prendre en compte l’enfance dans la ville : c’est aussi l’objectif de nombreux projets et d’initiatives en France et à l’étranger. On peut citer par exemple les terrains d’aventure qui permettent aux plus jeunes de développer leurs compétences créatives, tout en répondant aux besoins de liberté et d’exploration nécessaires au développement de l’enfant. Dans un autre registre, des quartiers sanctuarisent des « rues des enfants » sans véhicules.  « Dans ma rue, il y a plein des voitures, il y a aussi celles qui ne marchent pas avec de l’essence, alors il y a des bornes pour les recharger », explique un écolier de 7 ans. Les « rues des enfants » se sont d’abord développées à la fin des années 1930 en Angleterre sous le nom de play streets. Elles permettent aux habitants de réinvestir l’espace public, en dehors des trottoirs.  

La nature en ville : également une attente des enfants

En réponse à ce manque, le « projet Oasis » se focalise sur la végétalisation des cours des écoles, avec l’objectif d’en faire des jardins publics hors période scolaire. Autre initiative intéressante : des écoles organisent des classes en extérieur replaçant la nature au centre de l’apprentissage des plus petits. Le collectif belge Tous Dehors, par exemple, accompagne les enseignants qui choisissent de déplacer leur classe hors des murs de l’école. Penser la place des enfants dans la ville, implique d’aller au-delà d’un urbanisme qui crée des espaces dédiés et clos pour les plus jeunes. C’est réinterroger des stratégies et des modes de « faire – ville » tout en y intégrant une diversité de facteurs changeants (sociologiques, politiques, économiques, culturels, écologiques ou encore démographiques) liés aux contextes locaux. Cela revient à expérimenter une autre façon de concevoir l’espace urbain, en faisant coopérer acteurs publics, acteurs privés et promoteurs urbains et la société civile autour d’un objectif commun. Au bout du compte, fabriquer la ville à hauteur d’enfants engendre plusieurs bénéfices qui permettent de concevoir des espaces urbains inclusifs, hybrides, et relationnels. Ainsi, penser la ville à travers le prime de l’enfance est une première étape pour construire une ville pour tous, comme l’évoque Mathilde Chaboche. « Libérer les rues des voitures, oui ! mais ça commence par les enfants. Si on libère une rue, les enfants vont s’épanouir, mais les parents aussi, les personnes âgées, les personnes qui ont des difficultés de mobilité, les femmes peuvent se sentir en sécurité… ».  

Pour découvrir d’autres initiatives inspirantes nous vous invitons à consulter la note de tendances de Bouygues Construction « Penser la ville à hauteur d’enfants ».

  Sources : Authier J-Y, Bathellier V, Lehman-frisch S. Éditorial. In: Les Annales de la recherche urbaine, N°111, La ville des enfants et des adolescents. pp. 3-4; 2016.