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Télétravail : moins de trajets, moins de carbone ?

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Lorsque les conditions sanitaires ont exigé la généralisation du télétravail pour les tâches qui le permettent au cours de l’année 2020, chacun a pu constater la diminution soudaine des déplacements, notamment en voiture. Certains en ont déduit rapidement un impact bénéfique du télétravail sur l’environnement. Mais quels sont les effets réels du télétravail sur la mobilité, et par ricochet sur le bilan carbone de l’activité professionnelle ?

Un temps de trajet réduit

L’ADEME s’est penchée en 2020 sur les effets du télétravail sur la mobilité. Ceux-ci sont de diverses natures. Tout d’abord, l’effet principal du télétravail sur la mobilité est direct et très simple à comprendre : il s’agit de la suppression du trajet domicile-travail, dit effet modal direct. L’impact du télétravail est alors bien entendu favorable pour l’environnement. Mais au-delà de l’environnement, celui-ci a également des effets sur le bien-être des télétravailleurs – on estime généralement qu’il s’agit là d’un des principaux effets bénéfiques du télétravail au sens large. En moyenne, en France, ce temps de transport modal était en 2019 d’une heure par jour (soit 30 minutes en moyenne pour un aller domicile-travail) et en moyenne d’1h28 en Île-de-France. On comprend donc aisément que ce temps gagné soit valorisé, en particulier pour ceux pour lesquels il représente un coût important, des nuisances et de la fatigue au quotidien. Ainsi, pour 51% des salariés interrogés par l’APEC en 2017, le principal bénéfice perçu du télétravail est la diminution du temps de transport. Ce temps gagné se reporte en partie sur le sommeil, selon une étude INSEE-DARES de 2016, qui estime que le temps de sommeil augmente en moyenne de 45 minutes par journée télétravaillée, entraînant ainsi des effets bénéfiques pour la santé.

Quel impact carbone ?

Tous modes de transports confondus, l’ADEME estime la réduction d’émissions de CO2 à 271kg eqCO2 en moyenne sur une année, par jour de télétravail hebdomadaire. Cela n’est pas négligeable : à titre de comparaison avec l’avion, le moyen de transport le plus émetteur de carbone, un vol Paris-Nice correspond à 166kg eqCO2 par passager. SI l’on compare maintenant avec les émissions de carbone des trajets en train qui sont nettement plus faibles – Paris-Nice en TGV représente 1,681kg eqCO2 par passager – cette économie liée au télétravail correspond à plus d’un aller-retour en TGV par semaine par personne. On peut ajouter à cet impact direct des effets systémiques favorables à l’environnement : la facilitation d’horaires décalés et la réduction de la congestion des infrastructures de transport pendant les heures de pointe, améliorant potentiellement l’attractivité des transports en commun ; la réduction de certains trajets professionnels destinés à des échanges présentiels remplacés par des visioconférences. Ainsi, à première vue, une simple journée de télétravail par semaine permet de réduire significativement l’impact carbone des déplacements. Toutefois, la comparaison n’est en réalité pas aussi simple qu’elle en a l’air.

Effets rebonds

Le télétravail entraîne en effet des effets rebonds directs dont l’impact peut être négatif sur l’environnement. En premier lieu, si le télétravail peut conduire à des économies, par exemple sur le carburant, tout dépend de la nature des dépenses réalisées avec ce pouvoir d’achat économisées : un report sur des dépenses carbonées ou polluantes peut être tout aussi néfaste. Par ailleurs, la suppression du trajet domicile-travail peut conduire à une mobilité en étoile plutôt qu’en chaîne, et in fine à plus de déplacements. Par exemple, au lieu de se rendre à l’école ou de faire ses courses sur le trajet vers le lieu de travail, on peut faire plusieurs déplacements dans la journée au départ de chez soi. On peut également être tenté de réaliser des déplacements supplémentaires pour bénéficier du temps libéré par le trajet modal quotidien : micro-shopping, transport d’un proche, nouvelles activités sportives ou familiales… Cet effet rebond direct est évalué par l’ADEME à une moyenne d’émissions de CO2 à 67,7kg eqCO2 par personne sur une année, par jour de télétravail hebdomadaire. Un autre effet défavorable du télétravail est l’augmentation de la consommation d’énergie au domicile pendant la journée de télétravail. En effet, une personne qui travaille à distance depuis son domicile utilise des outils informatiques qui consomment de l’électricité ; elle maintient son logement à une température de confort de travail pendant la journée… L’ensemble de ces émissions est évalué par l’ADEME à une moyenne de CO2 à 20,7kg eqCO2 par personne sur une année, par jour de télétravail hebdomadaire. La question se pose également du financement de cette augmentation de la consommation énergétique. L’employeur doit-il participer au paiement de la facture lorsque son salarié travaille depuis chez lui ? Poussons la logique un peu plus loin : le télétravail pourrait-il conduire à construire des logements plus grands, des extensions des logements existants, auquel cas les émissions de carbone associées à la construction pourraient également croître ? Enfin, le travail à distance entraîne un regain d’utilisation du numérique, lui-même source de consommation d’énergie. En effet, les data-centers, qui forment les principaux nœuds des infrastructures numériques, et les lieux de stockage d’information centralisés, consomment énormément d’énergie : D’après le Réseau de transport d’électricité (RTE), la consommation énergétique des centres de données de France s’élève à 3 TWh sur l’année 2015 et représente 8 % de la consommation nationale en 2016. Selon les estimations, un seul centre de données dépense autant d’énergie que 30 000 habitants européens. L’impact carbone des visio-conférences liées au télétravail est évalué par l’ADEME à une moyenne de CO2 à 2,6kg eqCO2 par personne sur une année, par jour de télétravail hebdomadaire. On peut y ajouter le surplus de matériel informatique, dans le cas où certains équipements de bureaux

Habiter plus loin de son lieu de travail ?

C’est une hypothèse d’effet de rebond indirect qui peut avoir un impact négatif de plus sur le bilan carbone du télétravail. Si le télétravail, en permettant au salarié de réaliser son trajet quotidien moins souvent, l’encourage à déménager plus loin de son domicile, il crée ainsi des trajets quotidiens plus longs… Et peut finalement annuler les bénéfices des trajets supprimer. S’il est difficile pour le moment d’apposer un chiffre sur cette tendance, une étude de l’APEC de 2017 estime que 21% des télétravailleurs perçoivent la possibilité « d’habiter plus loin » de leur lieu de travail comme un bénéfice du télétravail. Cela regroupe le déménagement plus loin du bureau dans le même bassin de vie, et la possibilité de déménager vers une autre région plus lointaine. Les employeurs pourraient également recruter plus loin grâce au télétravail. Au-delà de cette possibilité d’habiter plus loin, certains envisagent d’opter pour la double résidence : un pied-à-terre en ville, proche du bureau, se complète alors d’une résidence plus éloignée, plus grande, et plus agréable. Celle-ci peut permettre de se rapprocher de différentes aménités, comme l’entourage familial ou les espaces naturels, ou tout simplement d’avoir accès à une surface plus grande dans un secteur où l’immobilier est moins onéreux. Toutefois, malgré le triomphe des villes moyennes et de leur périphérie annoncé par certains médias, il semble difficile à l’heure de la réduction de cet article de disposer de suffisamment de données pour mesurer l’ampleur de cette tendance et sa répartition géographique précise. Notons que cette double résidence entraîne des déplacements de longue distance plus fréquents et peut donc conduire à un impact environnemental encore plus néfaste, et pourrait par conséquent faire basculer le bilan carbone global du télétravail en territoire négatif. On pourrait y ajouter le phénomène de télétravail depuis un lieu de villégiature (week-ends en famille, city breaks, etc.) entraînant un nouvel attrait pour les déplacements longues distances.

Vers moins de consommation d’énergie au bureau ?

Parmi les effets rebonds indirects du télétravail, l’ADEME cite enfin la diminution de la consommation énergétique des bureaux et son impact favorable sur le bilan carbone. Toutefois, cette diminution est encore difficilement quantifiable. En effet, tout dépend de l’adaptation que l’entreprise fait de son immobilier de bureaux après l’adoption d’une part de télétravail pour ses salariés. Le bilan carbone des bureaux dépend en partie de leur consommation au quotidien, mais surtout de la surface de bureaux utilisée. Si celle-ci est optimisée, par exemple à travers le choix d’un modèle de flex-office intelligent et adapté, ou à travers l’utilisation de bureaux mutualisés, ou facturés à l’usage, l’entreprise réduit son besoin de surface de bureaux et donc sensiblement son empreinte carbone.

Un arbitrage complexe

On comprend donc que le télétravail ne suffit pas en lui-même à entraîner un effet bénéfique majeur au niveau environnemental. Il implique de réfléchir conjointement à l’usage des bureaux et à l’usage des logements pour le travail. Au-delà de ces deux typologies de lieux, il faut également considérer l’usage des tiers-lieux de travail : espaces de coworking, télécentres, cafés, hôtels, espaces de mobilité et nouvelles offres de travail nomades… Au-delà des directions RSE des entreprises, c’est donc avec la direction immobilière, la direction des ressources humaines et l’ensemble du management qu’il faut réfléchir de manière conjointe à l’évolution des modes de travail et des lieux de travail, notamment au bénéfice d’une réduction des émissions de carbone. Les modes de travail au bureau influent eux-même sur les émissions de carbone : ainsi, l’ADEME évalue les effets rebonds totaux du télétravail sur les émissions de G.E.S. de manière différenciée selon la mise en place d’un système de flex-office ou non, et selon ses modalités de partage. Ainsi, l’effet total est évalué positivement dans le cas de la mise en place de flex-office (amélioration générale du bilan carbone) et à l’inverse négativement sans la mise en place de flex-office. Rappelons par ailleurs que le télétravail, et plus généralement les modes de travail, ne sont pas des sujets dont l’arbitrage doit se porter uniquement sur les enjeux environnementaux ou sur les questions de mobilité qu’ils recouvrent. Il est également au centre d’enjeux sociaux, notamment liés au bien-être et à la santé (par exemple, une étude Malakoff Humanis de Mars 2020 estime que le télétravail engendre des risques pour la santé psychologique), d’enjeux liés aux modalités de travail (57% des salariés en télétravail interrogés lors d’une enquête Obergo en 2018 estiment que leur temps de travail augmente, accroissement que l’INSEE et la DARES estiment à 2,5% en moyenne en 2016), ainsi que d’enjeux économiques, de management et d’innovation. Débat complexe, dépendant des cultures d’entreprises, des domaines d’activité, des secteurs et des métiers, le télétravail doit faire l’objet d’une véritable réflexion concertée et pluridisciplinaire dans les entreprises, tout en incluant ses enjeux environnementaux et son impact carbone.