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Vers une fabrique urbaine bas carbone

5 minutes de lecture
Dans un précédent article, nous esquissions ce que pourraient être les piliers d’une ville compatible avec la neutralité carbone et présentions les stratégies et initiatives de territoires déjà engagés dans cette direction. Allons plus loin et regardons comment orchestrer cette vision dans le quotidien de la fabrique urbaine : quels leviers activer, ou, pour reprendre le titre d’une publication de l’Atelier Parisien d’Urbanisme , que serait une grammaire de la ville neutre en carbone ?  

Bâtiments : optimiser l’existant, construire et rénover bas carbone

En France, le bâtiment est responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre, et plus d’un quart en comptant les émissions associées (production d’électricité et de chaleur). L’optimisation de l’existant, la rénovation thermique et la construction bas carbone sont des clés pour agir à l’échelle du bâti. Actuellement, à peine 1% des 42 millions de tonnes de déchets produits chaque année par le secteur du bâtiment [1] sont réemployés, c’est-à-dire utilisés à nouveau en étant peu ou pas transformés. Mais des initiatives naissent pour accélérer la dynamique, à l’image du Booster du Réemploi, regroupement d’une trentaine de maîtres d’ouvrage (Groupama Immobilier, Colliers, Cogedim, Bouygues Bâtiment France Europe, Linkcity, Engie, …) dont l’objectif est de réduire de 20 à 30% l’impact carbone du secteur du bâtiment par le développement massif du réemploi. Le groupement s’engage à fournir en matériaux de réemploi issus d’anciens bâtiments déconstruits 150 chantiers de construction en France (#Community à Bordeaux, Z5C à Saint-Denis, 92 Wagram à Paris, etc.). Les émissions de gaz à effet de serre peuvent varier de 1 à 5 entre une réhabilitation et une construction neuve. [2] Pour cette raison, mieux vaut privilégier la rénovation et éviter l’acte de démolition. A long terme, cet objectif suppose d’anticiper, dès la conception de nouveaux bâtiments, leur transformation future pour accompagner d’éventuels changements d’usage. C’est le principe de la construction réversible. Quelques projets précurseurs testent le concept, à l’image du parking Saint-Roch à Montpellier, parking silo aérien de 800 places accueillant des commerces en rez-de-chaussée et anticipant de futurs usages de logements, services ou activités. Les 8 étages sont structurellement pensés selon les principes de la réversibilité, pour faciliter la transformation future de l’équipement. Par exemple, les hauteurs sous plafond sont d’ores et déjà plus importantes (entre 2,60m et 3m) que les normes requises pour les parkings (2,20m), ce qui pourrait permettre d’accueillir des logements dans le futur. Plusieurs autres types d’interventions peuvent aider à tirer parti de l’existant : réhabilitation de friches industrielles, transformation de délaissés urbains et de sous-sols inutilisés, densification par surélévation, toitures ou façades rendues productives par des installations liées à l’agriculture urbaine ou aux énergies renouvelables. Enfin, la logique réglementaire encadrant les pratiques de réhabilitation thermique s’est longtemps focalisée sur la performance énergétique. En parallèle de la RE2020 qui intègre la dimension environnementale et s’appliquera aux constructions neuves dont les permis de construire seront déposés à partir du second semestre 2021, la rénovation bas carbone des bâtiments existants suppose désormais une vision du « cycle de vie » : du coût carbone de production des matériaux au coût carbone de démantèlement du bâtiment en passant par le coût du transport et la durée de vie du matériau. Dans cette nouvelle logique de double performance énergétique et carbone dans le choix des matériaux, les filières de matériaux biosourcés sont valorisées. Le béton de chanvre, par exemple, présente à la fois des qualités d’isolation thermique, une capacité à évaporer l’eau contenue dans sa masse et une bonne inertie utile au confort d’été. Le coût carbone lié au bâtiment ne se limite par ailleurs pas à l’énergie grise liée aux matériaux, mais est également alimenté par l’énergie nécessaire au fonctionnement du bâtiment et par les pratiques de mobilité associées au bâtiment.

Transition énergétique des villes

A l’échelle du bâtiment comme de la ville, la transition énergétique repose à la fois sur la réduction de la consommation énergétique, le verdissement des réseaux énergétiques et l’exploitation des ressources énergétiques locales via la mobilisation de l’ensemble des gisements locaux disponibles (solaire, géothermie, valorisation des eaux grises : eaux usées domestiques faiblement polluées et souvent chaudes, provenant des douches, de la vaisselle, du lave-linge, etc.). Adopté en 2018, le Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) de Paris s’est ainsi fixé pour 2030 l’objectif d’atteindre 45% d’énergies renouvelables dans la consommation, dont 10% produites localement, première étape en vue d’un objectif plus ambitieux à l’horizon 2050 : 100% d’énergies renouvelables et de récupération dans la consommation, dont 20% produites localement. Dans cette perspective de transition énergétique, l’adaptation climatique des espaces et des bâtiments de la ville est nécessaire afin de limiter les phénomènes d’îlots de chaleur urbains, responsables d’un recours accru à la climatisation, lui-même facteur aggravant des îlots de chaleur. Végétaliser en intégrant des critères de résistance à la sécheresse et de densité de feuillage dans le choix des essences d’arbres, désimperméabiliser les sols pour permettre l’évaporation de l’eau et le rafraîchissement de l’air, choisir des matériaux ne stockant pas la chaleur (ex : pavés enherbés), organiser la trame urbaine et agencer les bâtiments de façon à favoriser la circulation de l’air : les leviers d’actions sont nombreux et les villes multiplient les initiatives. Dans le cadre de sa démarche CoolRoofs, la ville de New York a déjà peint plus de 5 millions de m² de toits avec un revêtement réfléchissant. A l’image de Stuttgart, plusieurs villes chinoises s’attèlent à la création de corridors de ventilation pour permettre la circulation de l’air et avoir un impact positif sur la réduction des températures lors des vagues de chaleur. De plus, l’aspect culturel de la perception de la température peut être abordé, notamment à travers des campagnes de sensibilisation : en temps de canicule, il n’est par exemple pas forcément nécessaire de faire un usage extensif de la climatisation pour refroidir les centres commerciaux à 20°C tout en réchauffant encore l’air extérieur.

Mobilité bas carbone ou démobilité ?

Autre source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, le secteur des transports concentre également les efforts. Ceux-ci prennent la forme d’interdictions de circulation des véhicules diesel, de création de zones à faibles émissions, de développement d’infrastructures de recharge pour les véhicules électriques, de développement d’infrastructures pour des villes 100% cyclables ou encore de transports en commun décarbonés. Dans le cadre du réseau C40 Cities, 35 villes ont ainsi signé la « Déclaration pour des rues plus vertes et plus saines » en promettant d’acquérir uniquement des bus à zéro émission à partir de 2025 et en veillant à ce qu’une partie importante de leurs réseaux de transports en commun soit à zéro émission à l’horizon 2030. Au-delà de la décarbonation des transports en commun, l’enjeu se situe surtout dans le report modal depuis la voiture occupée par le seul conducteur vers des modes actifs ou partagés et par la déconstruction du « système voiture » et la modification des comportements, ainsi que le pointe The Shift Project dans son Guide de la mobilité quotidienne bas carbone. Le modèle de ville du quart d’heure, qui fait le pari de la proximité, défend une autre vision de la mobilité en proposant que l’on puisse trouver près de chez soi tout ce qui est essentiel à la vie quotidienne : se soigner, faire ses courses, travailler, se divertir, faire du sport, … à une quinzaine de minutes à pieds (ou 5 minutes à vélo), soit dans un rayon d’environ un kilomètre. C’est l’application du premier item de la séquence « Eviter, Réduire, Compenser » (fil conducteur de l’intégration de l’environnement dans les projets, plans et programmes) à la mobilité. Les Villes intègrent désormais ce modèle dans leurs plans de développement, à l’image de Melbourne, qui a initié en 2018 son programme « 20-minute neighbourhoods » dans trois zones de son territoire. Concrètement, il s’agit d’élargir la palette des usages possibles dans un espace concentré. Un impératif qui suppose de lutter contre la sous-utilisation journalière, hebdomadaire ou annuelle des espaces et des bâtiments en s’appuyant sur les diverses ressources relatives à l’intensification des usages : occupation temporaire des locaux vacants, extension d’horaires d’utilisation des bâtiments, mutualisation entre plusieurs profils d’utilisateurs, hybridation entre différents usages dans un même lieu… Pour en savoir plus, consultez notre article sur l’intensification d’usages ou explorez notre nouveau cahier de tendances : Espaces hybrides, Villes en transition.

L’urbanisme au service des stratégies bas carbone

Œuvrer pour une ville compatible avec la neutralité carbone suppose enfin de tenir compte dans les choix de planification de ces enjeux et ces objectifs et de les intégrer dans les documents de planification (SCoT, PLUi, PLU). C’est à cette fin que l’ADEME accompagne depuis novembre 2019, 16 collectivités territoriales lauréates de l’appel à manifestation d’intérêt « planification urbaine au service des stratégies bas carbone » pour expérimenter l’effet levier de l’urbanisme dans la mise en œuvre de la transition énergétique et écologique. La trajectoire vers des villes bas carbone suppose d’intégrer les objectifs climatiques, énergétiques et de neutralité carbone en s’appuyant sur une large palette de leviers, de la planification, aux comportements et usages, en passant par la gestion des ressources et l’évolution des techniques. [1] www.boosterdureemploi.immo [2] Grammaire pour une ville neutre en carbone et résiliente, Observatoire de la ville durable – Paris