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Quels lieux de travail pour demain ?

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L’équipe Prospective de Bouygues Construction mène, avec Astrées et Chronos, une démarche prospective sur les évolutions des modes de travail et leurs impacts sur les lieux de travail. Comment seront conçus, aménagés et exploités les bureaux, logements, tiers-lieux et espaces de mobilité de demain pour adhérer aux nouveaux modes de travail ?
Pour répondre à cette question, nous avons notamment organisé deux ateliers de réflexion multi- partenariaux, au premier semestre 2021. Nous avons choisi de rassembler des parties prenantes de divers champs d’expertise, concepteurs et les usagers des futurs lieux de travail : employeurs et partenaires sociaux, promoteurs, exploitants, territoires, acteurs de la transformation numérique, etc. Les questions qui se posent aujourd’hui sont en effet au croisement des domaines de compétence de l’immobilier, des ressources humaines, des outils numériques et de la responsabilité environnementale. Croisons les visions de ces différents acteurs et imaginons des scénarios pour 2030 !

 « Pour comprendre les lieux de travail de demain, il faut d’abord comprendre les modes de travail. »

Comment rendre le bureau de demain plus attractif et créateur de lien social ? Virginie Alonzi ouvre la séance en citant des chiffres issus du module Bouygues Construction de l’étude La Vie d’Après réalisée par l’ObSoCo : 1/3 des ménages ont eu au moins un membre en télétravail, subi lors de la crise sanitaire : parmi les foyers concernés, plus de la moitié n’avaient pas d’espace dédié au travail à la, 40% continuent de ne pas en avoir. Par ailleurs, 38% des habitants des grandes villes aimeraient vivre ailleurs, et notamment dans la périphérie des métropoles ou dans les villes moyennes). Nicolas Bouby précise que pour comprendre les lieux de travail, il faut comprendre les modes de travail. Le télétravail, pour commencer, n’est pas nouveau : théorisé dans les années 1960 et expérimenté diès 1979, il se développe progressivement de manière hétérogène selon les secteurs d’activité, les cultures, etc. Par ailleurs, la période de la pandémie entraîne une certaine confusion et rend certaines données difficiles à interpréter. Par exemple, la progression du nombre de burnout est-elle vraiment liée au télétravail ou plus généralement à d’autres paramètres de la crise sanitaire ? Il est impossible de répondre à cette question pour le moment. Toutefois, certains chiffres clés peuvent être mentionnés :
  • 35% des actifs français peuvent télétravailler en distanciel selon l’INSEE.
  • Les petites entreprises sont peu investies dans le télétravail. Ainsi, 77% des chefs d’entreprise de 20-99 salariés (TPE) ne souhaitent pas pérenniser le télétravail.
  • A l’extrême opposé du spectre, plus de 2500 entreprises embauchaient en full remote en 2019.
La possibilité de réalisser certaines tâches à distance crée une situation hybride, et oblige à travailler de manière asynchrone. Cela entraîne des enjeux complexes à différents niveaux : Personnel pour les collaborateurs, pour les managers, les fonctions transverses des entreprises (RH, immo, IT, RSE…). Au sujet des lieux de travail, plusieurs questions émergent :
  • Quels aménagements intérieurs pour quels usages ?
  • Comment intégrer l’aspect social ? (Lieux d’échange, espaces de concentration, mutualisation ? Avec qui ? Pour quoi faire ?).
  • Logements : impacts psychologiques quand on ne peut pas avoir une pièce dédiée ? productivité ? Qui paye les charges courantes ?
  • Tiers-lieux : travail près de chez soi, en mobilité.
Enfin, les outils numériques font le lien entre ces différents lieux : Comment pallier le sentiment d’exclusion lors des réunions hybrides ? Les outils numériques peuvent aussi créer des équivalents virtuels de lieux de travail, à travers notamment la réalité virtuelle et augmentée, ou des jeux sérieux.

« Le salariat est-il obsolète ? »

Pour Xavier de Mazenod, la transformation des modes de travail a commencé avant la crise sanitaire. Pendant les confinements, le télétravail contraint, dans des conditions très dégradées a donné une image faussée du télétravail. Le principal facteur modifiant les modes de travail est l’arrivée du numérique, à travers la possibilité de travailler loin du bureau par exemple, mais aussi les nouveaux modes de management liés aux nouvelles manières de communiquer. Les préoccupations sociétales et environnementales poussent aussi à changer :  à titre d’exemple, le temps de transport moyen pour se rendre au travail approcherait des 2 heures par jour en Île-de-France : l’aspiration à moins de temps de transport est contradictoire à la concentration de bureaux. 7 habitants sur 10 aspireraient déjà à quitter la région parisienne. Le journaliste s’interroge : le salariat est-il obsolète ? Pour lui, il n’est plus la forme majoritaire du travail car 50% des CDI s’interrompent en moins de deux ans et 13% seulement des salariés se disent hautement motivés au travail. Le phénomène des freelance progresse donc parallèlement. Après la pandémie, une large majorité de salariés souhaitent continuer à télétravailler : comment organise-t-on cela ? Un équilibre entre vie privée et vie pro reste à trouver, dans un nouvel environnement en termes de lieu de vie et de lieu de travail.

« Les nouvelles technologies accompagnent la mise en place d’organisation apprenantes lorsque le management repose sur la confiance. »

Malo Mofakhami, chercheur au Centre d’étude de l’emploi et du travail et au Centre d’économie de la Sorbonne et spécialiste de la qualité de l’emploi et de son évolution à travers une approche macro-économique, donne des éléments de réponse à la question : quelles sont les évolutions du travail ? Dans les années 2000,  La London School of economics identifie un tournant : les actifs intangibles (propriété intellectuelle, information) ont une valeur supérieure aux actifs tangibles (machines). Les évolutions à long terme de l’emploi se concentrent sur la dynamique des services, tandis que les technologies du numérique transforment en profondeur le monde industriel, notamment par la robotique. La main d’œuvre se polarise alors : d’une part, on constate un affaissement de la main d’œuvre moyennement qualifiée effectuant un travail routinier, remplacée par de l’automatisation, au profit de la main d’œuvre hautement qualifiée (cadres, scientifiques…). D’autre part, on assiste au développement des travailleurs très peu qualifiés dans le secteur des services à la personne dans des formes de contrats moins protégés (intérim et CDD par exemple) avec peu de perspectives d’évolution. L’usage des nouvelles technologies est-il favorable aux employés ? Malo Mofakhami répond que d’une part, l’utilisation des nouvelles technologies améliore généralement les salaires et la stabilité de l’emploi pour les plus qualifiés, mais que cela s’accompagne d’un hause du stress et d’un risque de débordement de la vie professionnelle sur la vie privée. Pour les travailleurs moins qualifiés, il y a plus de risques de contraintes physiques :  les travailleurs doivent s’intégrer à la machine (oreillettes, casques de réalité virtuelle), ce qui peut provoquer des problèmes physiques. Les technologies accompagnent une mise en place d’organisations apprenantes avec une plus faible hiérarchie, une meilleure qualité d’emploi, ce qui bénéficie à l’innovation. Cela correspond toutefois à une forme de management qui repose sur la confiance qui n’est pas la plus courante en France. Enfin, l’économiste conclut que la transition écologique est susceptible d’avoir un impact important sur le salariat, en soutenant le développement d’emplois verts.

« Le bureau as a service »

Camille Rabineau, fondatrice de Comme on Travaille, accompagne les salariés dans le cheminement vers de nouveaux modes/espaces de travail. Selon elle depuis une dizaine d’années s’opère une lente mais sûre métamorphose des bureaux : plus ouverts, plus variés, plus flexibles, partagés, fondés sur la mobilité, décentralisés, bureau as a service.  L’accélération du télétravail questionne encore plus cette métamorphose : aujourd’hui y a une recherche d’optimisation immobilière, une montée des préoccupations environnementales (l’immobilier est une ressource foncière limitée), une volonté de tirer le meilleur des interactions salariés (sérendipité). Un pas de géant a été accompli sur l’équipement informatique mobile pendant la crise. La marche à franchir vers l’adoption de nouvelles pratiques est très haute pour certains salariés. Selon une étude Actinéo : 66% des salariés français travaillent en espace fermé seuls ou à plusieurs. Il y a un rejet importantde l’open space et du flex-office. De nombreux salariés craignent une perte de confort et d’ergonomie avec le passage dans des espaces plus ouverts, plus flexibles. Paradoxe avec des salariés qui redoutent des améliorations alors que leurs conditions ne sont pas idéales. Le réflexe de mobilité n’est pas naturel au sein du bureau. Le besoin de se créer des repères en entreprise est très profond : un tiers des salariés seraient tentés par le repli dans leur cocon. Un exemple de décalage entre discours et réalité est le tiers-lieu, avec un taux d’adoption faible par les travailleurs aujourd’hui. Les entreprises qui offrent des pass coworking constate un taux d’adoption de 10 % seulement en moyenne. Il y a des freins majeurs comme le maillage insuffisant des espaces de coworking, et certaines difficultés pour y travailler. Il faut donc, selon Camille Rabineau, une transformation cohérente du cadre de travail et de télétravail. Il faut accorder plus de place à l’asynchrone, repenser les réunions. Il faut des lieux habités, contrer la standardisation des espaces de travail.

Analyse collective des facteurs de changement

En amont des 2 ateliers, une présélection de 31 facteurs clés impactant les futurs lieux de travail a été réalisée par Bouygues Construction, Chronos et Astrées. Lors du premier atelier collaboratif, les participants ont sélectionné collectivement les 20 facteurs qu’ils jugeaient les plus déterminants parmi les 31 présélectionnés ; c’est-à-dire les 20 facteurs ayant le plus d’impact sur le champ prospectif et dont l’évolution est incertaine. Suite à cet atelier, ces 20 facteurs ont été étudiés plus en profondeur pour établir leurs tendances d’évolution. En combinant les différentes hypothèses d’évolution de tous les facteurs, 5 scénarios contrastés ont été formés. L’objectif du second atelier était double : d’une part, il s’agissait de débattre des hypothèses d’évolution les plus probables des 4 facteurs jugés les plus déterminants par les participants du 1er atelier ; puis, l’objectif était de se plonger dans les 5 scénarios prospectifs afin d’imaginer concrètement leurs implications sur les bureaux, logements et tiers-lieux de 2030. Ainsi, les participants ont discuté des hypothèses d’évolution les plus probables pour différents facteurs clés déterminants : la connexion numérique ; le bien-être et la santé au travail ; les modèles de management ; et enfin, la stratégie d’attractivité des territoires. Prochainement, Bouygues Construction, Astrées et Chronos vous feront découvrir une analyse plus poussée de ces transformations en cours, ainsi que les résultats de cette démarche et différents scénarios pour les lieux de travail de demain.