fbpx

« Dé-genrer » les villes : un nouveau critère d’attractivité ?

5 minutes de lecture
Ce qui fait la ville a longtemps été pensé et construit par et pour des hommes. Un problème de taille à l’heure où ils devraient occuper tous deux, à même échelle, l’espace public.
Les femmes représentent près de 50% de la population ; pour autant, les espaces urbains sont encore souvent peu inclusifs, alors qu’elles parcourent autant la ville que les hommes. Trouver leur place au sein de l’espace public tant en termes d’usage des équipements que de sécurité reste un challenge. Conscientes de cette problématique, de plus en plus de villes se sont mises en quête de davantage de mixité. L’objectif ? Permettre aux femmes et aux hommes de profiter équitablement de l’espace public. Et cela ne passe pas par la féminisation des noms de rue ou de son propre nom… Pour devenir un lieu accueillant et sûr pour la gent féminine, les villes doivent réussir à s’adapter aux besoins, aux conditions physiques et aux attentes de tous. En bref, dégenrer tout ce qui a trait à la ville, pour favoriser son utilisation par tous : homme, femme, mais aussi enfant, senior et personne handicapées, pour une ville totalement inclusive.  

Tenir compte du genre dans les aménagements

Permettre à chacun de trouver sa place dans la même ville nécessite de prendre en compte les genres dans chaque opération d’aménagement, et ce, le plus en amont possible des conceptions urbanistiques. À l’image du Havre, certaines communes font le choix d’inclure les principaux intéressés dès la genèse de chaque projet, via des diagnostics partagés avec les habitants. Après tout, qui mieux que les concernés pour exprimer leurs attentes envers un espace ? Grâce à ces initiatives, les villes souhaitent identifier concrètement les meilleurs cheminements pour les piétons – quels que soient leur genre ou leur différence – mais aussi sélectionner des équipements en adéquation avec les contraintes physiques de chacun. De quoi en finir avec les installations sportives publiques trop lourdes pour être utilisées par des femmes ou des seniors, les bancs difficilement accessibles pour les personnes à mobilité réduite, les passages piétons qui ne prennent pas en compte les personnes malvoyantes… Un sondage a par exemple permis à la ville d’Yverdon-les-Bains, en Suisse, de constater que la moitié des femmes n’utilisait pas certaines contre-allées, principalement pour des questions d’insécurité.  

Apporter une vision féminine à la ville

Pour aller plus loin, les « marches exploratoires » font partie des méthodes utilisées par les collectivités pour déterminer comment améliorer et restructurer l’espace public, en dépassant les habitudes et certitudes du genre masculin, qui servaient jusqu’alors de références. La métropole de Lyon s’en sert par exemple en amont de ses opérations d’aménagements. À la clé ? Des diagnostics fiables, car ils réunissent différentes visions et des préconisations d’usage et de sécurité concrètes pour les maîtres d’œuvre. « Les femmes, les hommes et les minorités sexuelles et de genre ont tous une expérience différente de l’espace public et de la ville en général. Il nous incombe de penser l’aménagement urbain du point de vue de tous ses usagers, » expliquait Sameh Wahba, directeur mondial du pôle Développement urbain, gestion du risque de catastrophe, résilience et foncier à la Banque mondiale.  

Accepter les différences pour tendre vers des villes réellement inclusives

Toutefois, pour éviter l’effet « tendance » de la question du genre et de l’inclusion qui n’aboutirait qu’à une vision partielle des besoins de mixité des villes, les femmes doivent avoir leur place dans les instances décisionnaires. L’égalité homme-femme, et de manière générale la diversité des équipes, dans les entreprises, les institutions ou encore les commissions techniques a, en ce sens, un rôle extrêmement important ! Nombre d’hommes – eux-mêmes – s’accordent à le reconnaître : le regard sur le développement des villes doit être partagé entre les femmes et les hommes de manière égalitaire, si l’on souhaite retrouver cette même égalité dans les rues. « Il faut faire du « un avec un » et en finir avec le « un plus un » expliquait Pascale Lapalud, urbaniste et cofondatrice de Genre et ville, une plateforme de recherche et d’action dont l’objet est de rendre les territoires égalitaires et incluants, dans un article de La gazette des communes. Pour changer les villes en profondeur et les rendre appréciables par tous, l’enjeu est donc aujourd’hui de reconnaître que les espaces publics ne sont pas neutres, et que leur sens diffère selon les identités sociales et de genre. Une prise conscience loin d’être atteinte par tous et toutes. Raison pour laquelle, la Banque mondiale propose depuis 2020 le « manuel pour un aménagement urbain inclusif ». Ce dernier identifie six aspects de l’urbanisme où les inégalités de genre sont une source de contrainte, d’incommodité ou de mise en danger des femmes, des filles, des minorités sexuelles et de genre de tous âges, en situation de handicap ou non. Six voies complémentaires pour devenir une ville totalement inclusive :
  1. L’accès aux services et espaces relevant du domaine public qui ne doit comporter aucune barrière ou contrainte.
  2. La mobilité qui doit permettre de se déplacer en toute sécurité, facilement et à un coût raisonnable.
  3. La sécurité et l’absence de violences – gage d’une liberté totale de mouvements n’importe quand.
  4. La santé et l’hygiène qui, en ville, doivent permettre à tous et à toutes d’avoir une vie active sans courir de risques sanitaires.
  5. La résilience climatique pour anticiper les effets immédiats et à long terme d’une catastrophe, y réagir et les surmonter.
  6. La sécurité foncière grâce à laquelle chacun et chacune peut occuper ou devenir propriétaire d’un terrain et d’un logement pour vivre, travailler, s’enrichir et gagner en autonomie.
 

Dépasser le cadre de l’utilisateur « normal »

Comme d’autres, la ville de Rennes s’est elle aussi lancée dans la prise en compte systématique des genres pour construire, aménager et entretenir l’espace public sans en exclure certain·e·s. Car, disons-le, les lieux d’exclusion dans les villes genrées sont nombreux : les rues et parcs sans éclairage, les toilettes insalubres, les transports en commun calqués sur les horaires des travailleurs considérés comme « normaux ». Identifier ce qui représente un obstacle pour les usagers – même peu nombreux, et intégrer de manière durable d’autres points de vue que celui des hommes valides devrait toutefois permettre de passer de la théorie du genre et de l’inclusion à la pratique, de l’intention à l’action dans les années à venir. Et par conséquent de rebattre les cartes de l’attractivité des villes.