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Quand les villes surchauffent

La surchauffe urbaine s’installe comme un phénomène récurrent, résultant de l’effet cumulé du changement climatique et du phénomène d’Îlot de Chaleur Urbain (ICU). Le changement climatique entraîne une augmentation de l’intensité et de la durée des vagues de chaleur (masses d’air chaud provoquant des températures élevées pendant plusieurs jours consécutifs) dans différentes régions du monde.
Ces phénomènes météorologiques renforcent eux-mêmes l’ICU, effet climatique correspondant à un écart de température entre le centre des agglomérations et les zones périphériques ou naturelles, qui peut être supérieur à 10°C pendant les canicules. L’effet est encore plus marqué la nuit, où la chaleur stockée par les sols artificialisés et les bâtiments est restituée à l’air, maintenant la température élevée. Face aux diverses conséquences (sociales, environnementales, économiques) et aux projections climatiques, les collectivités territoriales se trouvent aujourd’hui confrontées à la nécessité d’adapter leurs villes pour lutter contre ce phénomène. Tour d’horizon des enjeux et des solutions.

Des facteurs liés à la morphologie urbaine, aux types de surfaces et à l’action anthropique

Le phénomène est désormais bien connu. Les surfaces minérales de la ville (béton, pierre, revêtements de voirie…) s’échauffent sous l’effet du rayonnement solaire. Elles absorbent et stockent une partie de cette énergie reçue, qui est restituée à l’environnement la nuit, par convection et par rayonnement infrarouge. Les formes urbaines contribuent au phénomène en bloquant la circulation des vents et en piégeant le rayonnement (proximité entre les bâtiments, ouverture limitée de la forme urbaine vers le ciel). De même, certaines activités urbaines (transports, activités industrielles, …) contribuent à l’augmentation de la température en émettant de la chaleur.

Des enjeux environnementaux et de santé humaine

Les conséquences sont nombreuses, tant sociales, qu’environnementales et économiques. Les risques sanitaires sont accrus, en particulier pour les personnes âgées, les nourrissons et jeunes enfants, les femmes de plus de 45 ans et les personnes atteintes de maladies chroniques ou de troubles psychiatriques. Ils peuvent se traduire par des insolations, de la déshydratation ou de l’hyperthermie.  Au-delà de l’aspect strictement sanitaire, les ICU affectent le bien-être et le confort des populations : la pratique des espaces extérieurs et l’usage des bâtiments peut devenir inconfortable pour les usagers, affectant la vie quotidienne et économique (baisse de la productivité au travail, troubles du sommeil). Les enjeux de la lutte contre les ICU sont également environnementaux. Les variations climatiques locales liées aux ICU peuvent affecter la biodiversité végétale et animale locale, en menaçant la survie de certaines espèces ou, au contraire, en favorisant la prolifération d’espèces envahissantes. Le risque est également d’entraîner une augmentation de la demande énergétique en période estivale dans les bâtiments et les transports, liée à la climatisation, facteur d’aggravation du changement climatique.

Diagnostiquer et modéliser le phénomène

Face à ces enjeux et aux projections climatiques, les collectivités territoriales se trouvent aujourd’hui confrontées à la nécessité d’adapter leurs villes pour lutter contre ce phénomène. Les enjeux de surchauffe urbaine s’intègrent à chaque étape du processus d’aménagement, de la vision stratégique (planification à l’échelle régionale et urbaine) aux projets d’aménagement, de bâtiments et d’espaces publics (dans les cahiers des charges, en phase conception, chantier, …). Toutes les échelles (agglomération, quartier, îlot, bâtiment) sont imbriquées et interagissent : un bâtiment peut à la fois jouer un rôle dans l’ICU (obstruction des vents, …) et en subir les effets. Le diagnostic constitue un préalable pour adapter les stratégies d’action face à l’ICU. La cartographie fine du phénomène nécessite des outils spécifiques (mesure des températures de surface par le rayonnement infrarouge thermique, …) car les réseaux de mesure des stations météo ne sont généralement pas assez denses pour le caractériser précisément. Ces mesures quantitatives doivent s’accompagner d’enquêtes qualitatives auprès des usagers, à la fois pour identifier leur ressenti et leur perception et les sensibiliser aux vulnérabilités liées aux ICU. A l’échelle des projets urbains, la modélisation du phénomène permet d’anticiper ses effets et d’adapter la fabrique urbaine en conséquence. Elle est utile pour guider les choix de conception, qu’ils soient urbanistiques, architecturaux, de végétalisation, de traitement des sols ou de matérialité des façades. C’est l’objet d’une expérimentation réalisée par l’Université de Bourgogne, le Centre d’expertise en efficacité énergétique (C3E), la R&D Bouygues Construction et Linkcity sur le quartier Pont des Tanneries à Dijon. Il s’agissait de mesurer concrètement les variations de température engendrées par une conception rafraîchissante sur le quartier. L’exercice a eu un impact concret sur certains choix : limitation des revêtements imperméables, ajout d’ombres portées, limitation des rayonnements vers les façades, bon positionnement des plantations et modification des formes urbaines, en particulier sur les « points chauds », pour permettre une meilleure ventilation.

S’appuyer sur la nature et les services écosystémiques

Les leviers d’action sont nombreux et peuvent notamment s’appuyer sur la nature et les services écosystémiques. La Métropole de Lyon met ainsi en œuvre son plan Canopée 2017-2030 pour développer le patrimoine arboré de son territoire. Plus de 300 000 arbres seront plantés dans ce cadre, avec pour objectif de passer de 27% à 30% de surface de canopée d’ici 2030. Les arbres rafraîchissent l’air ambiant en interceptant le rayonnement solaire, en protégeant les surfaces minérales du rayonnement solaire et par l’évapotranspiration (relargage de l’eau sous forme de vapeur d’eau dans l’atmosphère). Sans compter les espaces de pleine terre auxquels ils sont associés, qui infiltrent les eaux de pluie et peuvent être eux-mêmes végétalisés. Néanmoins, le choix des essences s’avère délicat et demande une vision prospective : faut-il privilégier des essences résistantes à la sécheresse (en anticipation des impacts du changement climatique) mais qui apportent un ombrage parfois réduit ? Faut-il privilégier des essences locales ou d’autres qui seront plus adaptées aux évolutions climatiques des prochaines années ? Plusieurs outils existent pour guider la réflexion, tels que SESAME, mis au point par le Cerema avec la Ville et la Métropole de Metz, qui analyse un large choix d’essences en fonction des services écosystémiques rendus dans différentes situations urbaines. A l’échelle micro-locale, les initiatives prennent forme, à l’image du projet Lisière d’une Tierce Forêt qui propose de transformer un parking très minéral situé devant une résidence de jeunes travailleurs en îlot de fraîcheur. Les 72 arbres plantés ont été choisis pour leur capacité à transpirer, le parking a été débitumé au bénéfice d’un échantillon de revêtement drainant. Un bassin de stockage de l’eau permettant d’alimenter les arbres en période de stress hydrique renforce le dispositif et des matériaux réfléchissants et perméables ont été installés sur l’ensemble du site. Les mesures permettent d’observer une baisse de -2,5°C en moyenne sur 24h de la température ressentie, allant jusqu’à -6°C autour de 13h. Outre son impact sur l’ICU, le projet restaure le cycle naturel de l’eau et contribue au bien-être et à la cohésion sociale en apportant aux usagers de la résidence un espace extérieur agréable.   Cette logique de maximisation de l’impact d’une intervention en milieu urbain et de vision holistique des enjeux (sociaux, environnementaux, …) sont au cœur du paradigme de résilience, qui s’affirme comme un cadre de pensée efficace pour adapter la fabrique urbaine aux enjeux de notre époque (chocs, stress, évolutions irréversibles telles que le changement climatique et le déclin massif de la biodiversité). Autre principe clé lié à la résilience, la diversité invite les acteurs de la fabrique urbaine à coupler les solutions et à activer une grande variété de leviers pour répondre à un aléa tel que l’ICU. Ainsi, l’organisation urbaine (réduction du trafic automobile, ouverture prolongée des lieux de fraîcheur en période de canicule), la conception du bâti (bâtiments traversants, bi-orientés, à l’isolation très performante, incluant un une protection solaire) la morphologie urbaine (urbanisme bioclimatique, îlots ouverts, rues ventilées) et les infrastructures (fontaines et brumisateurs, choix de matériaux à fort  albédo et faible inertie thermique) sont aussi des clés de la lutte contre les ICU. Les solutions existantes sont donc multiples et la documentation s’étoffe (à l’image du guide « Rafraîchir les villes » de l’Ademe paru en mai 2021) pour aider les acteurs à choisir les plus pertinentes en fonction de différents contextes climatiques et urbains.