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Le bâtiment comme banque de matériaux

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À Rome, au cours de l’époque médiévale et de la Renaissance, les citoyens puisèrent dans les édifices antiques pour y récupérer fer, briques et autres matériaux de construction. De même, les colons espagnols se servirent des pierres des temples aztèques et incas pour construire leurs cathédrales. Ces exemples du passé augurent-ils du futur ? Autrement dit, pourra-t-on, demain, tirer d’un bâtiment des composants et matériaux réutilisables, pour les réinvestir dans un autre immeuble ? Une alternative au coûteux recyclage ou à la mise à la benne, que propose le concept de « bâtiment – banque de matériaux ». Explications.

Vers la construction circulaire

Pour faire face aux enjeux environnementaux, le concept d’économie circulaire pour limiter la consommation de ressources naturelles s’impose de plus en plus. Les spécialistes Steven Beckers, Michael Braungart et William McDonough parlent d’économie C2C, ou cradle to cradle, « du berceau au berceau ».
Appliquée aux secteurs urbain, immobilier et BTP, cette approche peut se décliner à toutes les étapes d’un projet : programmation, conception, construction, exploitation, transformation… Trois principaux leviers sont généralement abordés : – Réduire les flux en utilisant moins de ressources ; – Rallonger la durée de vie des produits pour en produire moins ; – Boucler les flux de ressources, c’est-à-dire mieux réutiliser les produits en fin de vie, leurs composants ou leurs matériaux. C’est sur cette dernière approche que se greffe le concept de bâtiment comme banque de matériaux.
La déconstruction d’un bâtiment donne en effet lieu à un certain nombre de déchets. Ceux-ci peuvent, pour certains, être recyclés au prix d’un cycle de transformation. Plus rares sont ceux pouvant être réutilisés pour d’autres chantiers, bien que des initiatives inspirantes comme le Booster du Réemploi s’emploient justement à encourager leur valorisation. Ainsi, la plateforme digitale Looping permet de mettre en relation des fournisseurs de matériaux issus de la déconstruction, et des demandeurs de matériaux de réemploi pour des projets de construction. Mais que faire pour mieux anticiper la disponibilité des composants ?

Au centre était la donnée

La réutilisation des composants et matériaux de l’existant revêt un problème récurrent : nous ne savons pas ce qui se trouve dans un bâtiment. Il n’existe pas de registre, pas de liste exhaustive ; la plupart des bâtiments existants ont, tout au mieux, des plans plus ou moins détaillés, mais rarement des indications centralisées sur la composition de leurs isolants, la formulation de leur béton ou encore l’emplacement exact de leurs réseaux électriques. Pour faire du bâtiment une banque de matériaux, l’enjeu est donc désormais de recenser précisément ce qu’il contient : la quantité, mais aussi la composition de chacun des matériaux, et le mode de construction utilisé. Et pour cela, pourquoi ne pas s’appuyer sur le BIM ? En progression dans la conception, dans la construction et progressivement dans l’exploitation des bâtiments, les maquettes numériques BIM sont encore trop peu utilisées pour la déconstruction. Le Royaume-Uni parle ainsi de DRIM, « Deconstruction & Recovery Information Modeling ». Pour les bâtiments nouvellement construits et modélisés en BIM, il s’agit de conserver puis de mettre à jour une maquette numérique correspondant à l’évolution du bâtiment dans le temps, notamment au fil de ses rénovations, adaptations et de son usure. La question est d’autant plus difficile pour les bâtiments existants ne possédant pas de jumeau numérique BIM : comment numériser les objets structurels inaccessibles ? Comment tester et évaluer leur résistance dans le temps avec l’usure ? Comment intégrer les imprévus et les dommages invisibles ? Faut-il barder chaque brique de capteurs ou au contraire faire des moyennes, prendre des marges de sécurité, et recontrôler visuellement chaque élément au cours de sa déconstruction ? Quelles marges de sécurité prendre ? De nouveaux acteurs tentent d’apporter des réponses en mobilisant différents outils : à l’aide de scanners 3D, analyse de vues satellites haute définition, de cartes indiquant la date de construction et les techniques utilisées à l’époque, analyse automatisée par des outils d’intelligence artificielle…  

Le projet BAMB porte le sujet en Europe

Une fois ce travail effectué, les objets réutilisés dans plusieurs reconstructions successives seront caractérisés au plus près de leur usage et de leur état d’usure. En Europe, le projet BAMB (Building As Material Bank) porte l’ambition de fournir des « passeports » aux matériaux. Financé par l’Union Européenne, le projet a pour mission d’amorcer la mue circulaire du secteur du BTP, et prépare un prototype de logiciel permettant de générer des sets de données de réutilisation de matériaux, à partir de maquettes numériques de bâtiments. La plateforme ambitionne également de remonter jusqu’à la conception, pour conseiller les maîtres d’œuvres sur le bilan carbone et ressources de leur projet, et comparer différents scénarios de projets. Avec un objectif : augmenter le taux de ré-usage final de chaque matériau et composant et réduire les externalités négatives de la construction. Ces initiatives participent à la réduction de l’impact carbone du secteur du bâtiment, et ne doivent pas être vues comme des contraintes pour les acteurs de la filière. Au contraire, à l’image du projet BAMB, du DRIM, de Looping ou encore du Booster du réemploi, elles sont l’occasion pour créer des facilitateurs et imaginer de nouvelles solutions.