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A la reconquête des espaces publics

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Aujourd’hui, les espaces publics sont confrontés à de nouveaux défis qu’ils soient sociétaux, environnementaux, politiques, technologiques ou économiques et doivent faire face à l’incertitude d’un monde en pleine mutation. Comment concevoir des espaces publics répondant aux diverses attentes sociétales tout en étant capable de s’adapter aux évolutions à venir ?
Espaces Publics

Qu’entend-on par « espaces publics » ?

Les espaces publics désignent l’ensemble des espaces destinés à l’usage de tous, sans restriction : principe de libre accès pour tous et de gratuité. Ils regroupent les places, parvis, chaussées et trottoirs mais également les espaces verts (parcs, jardins, sentiers, berges) ainsi que le mobilier ou tout autre objet présent dans ces lieux. Cependant, ces espaces publics urbains ne se résument pas à une simple définition matérielle. L’importance de la valeur d’usage de ces lieux a notamment été mise en exergue par la crise sanitaire en 2020. La multiplicité des usages et leur évolutivité confèrent une valeur immatérielle à l’espace public. Par ailleurs quand on évoque l’espace public au singulier, c’est généralement le lieu du débat politique, de la confrontation des opinions.  

Espaces publics et lien social

L’espace public est avant toute chose le lieu du lien social, du vivre-ensemble qui construit l’urbanité de nos villes. Lieux de partages et de rencontres, chacun peut y exercer son art, s’y exprimer, y vivre à sa manière et en communauté. Selon Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, « c’est dans ces espaces dits publics que chacun perçoit dans l’étrangeté de l’autre la garantie de sa propre différence ». Cependant, ces lieux communs, où se joue notre civilisation urbaine, sont aujourd’hui soumis à des injonctions nombreuses voire contradictoires. Comment concevoir un espace public pour tous où l’on se sent bien tout en conciliant enjeux de bien-être et de sécurité ? Comment concilier les aspirations individuelles avec la quête collective de cohésion sociale et intergénérationnelle ?
La Métropole de Lyon a lancé au printemps 2022 la construction d’une Charte des espaces publics, un cadre commun pour penser et élaborer les espaces de circulation et de rassemblement (places, rues, parcs…) du territoire métropolitain. L’objectif ? Se doter d’une vision partagée et d’une cohérence dans les aménagements urbains pour relever les défis de demain : transition écologique, bien-être et sécurité, inclusions sociales, mobilités…
 

De la ville fonctionnelle à la ville relationnelle

Pour Sonia Lavadinho, anthropologue urbaine et géographe, « La ville relationnelle est faite des rencontres dans l’espace public, elle nous lie aux autres mais aussi au vivant, au paysage de proximité.
« Aujourd’hui, seulement 10 à 15% des espaces urbains sont relationnels : les parcs, les places centrales… »
La ville monofonctionnelle, héritage du XXe siècle, ne prend pas en compte les mutations dans les usages. Cette ville des interactions est un élément clé et l’espace public constitue un vrai vecteur de lien social. Cet espace public permet aussi des rencontres spontanées entre des personnes qui n’avaient pas envisagé d’entrer en interaction ; cette ville de la « surprise », de la spontanéité renforce la ville relationnelle. Sonia Lavadinho décrit dans son ouvrage intitulé « La Ville relationnelle » co-écrit avec Yves Winkin et Pascal Lebrun-Cordier, les 7 figures de la ville relationnelle.

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Espaces publics et transition écologique

Les espaces urbains doivent se transformer pour répondre aux enjeux climatiques : réduire les émissions de gaz à effet de serre, améliorer la qualité de l’air, encourager la mobilité douce, favoriser la biodiversité, lutter contre les ilots de chaleur urbains et développer une meilleure résilience urbaine. A Paris, il y a notamment les cours d’école OASIS. Ces cours d’école sont transformées en îlots de fraîcheur grâce au remplacement des surfaces asphaltées par des matériaux perméables et adaptés aux fortes chaleurs, des zones de pleine terre, le renforcement de la végétalisation (arbres, jardins potagers, zones ombragées) et l’installation de fontaines. Ces îlots de fraîcheur sont ouverts aux riverains lors des épisodes de canicule, hors des temps scolaires. Avec le même euro investi, le projet a un impact sur différentes politiques publiques, qui touchent à la cohésion sociale (lieu de rencontre entre habitants), la récupération des eaux de pluie, la santé (accueil des populations fragiles en temps de canicule, bien-être des écoliers dans des cours apaisées), l’éducation (sensibilisation au changement climatique) et la promotion de la biodiversité en ville. Onze directions municipales ont été impliquées dans ce projet et plusieurs ateliers collaboratifs ont été organisés avec les usagers (élèves, enseignants, personnel d’entretien…). A Rotterdam, Watersquare Benthemplein est un espace public multifonctionnel et résilient. Cette place publique composée de trois grands bassins, sert par temps sec de terrain de basket, de skate park ou d’amphithéâtre et permet de retenir l’eau pendant les épisodes de pluie intense. Le projet a été conçu avec l’implication des usagers des équipements adjacents (collège, église, théâtre) et les habitants. Il maximise l’impact de l’investissement en permettant le stockage de l’eau de pluie, l’amélioration de la qualité de l’espace public urbain et en apportant une dimension pédagogique sur la fonction du « watersquare ».
Adapter nos espaces publics au changement climatique est un pré-requis pour offrir une meilleure résilience et lutter contre les îlots de chaleur, tempêtes ou inondations qui vont se multiplier et s’intensifier dans les années à venir.
 

Espaces publics et inclusivité

L’espace urbain n’est pas toujours adapté à la diversité des publics qui le fréquentent. Concevoir des espaces publics ouverts et accueillants pour les plus jeunes comme pour les plus âgés bénéficie à tous. Prenons l’exemple des enfants qui sont les grands oubliés de l’urbanisme et de l’architecture : pour Thierry Paquot, auteur du livre « Pays de l’enfance » aux éditions Terre Urbaine, « plus une ville sera faite pour les enfants, puis elle sera agréable et plaisante pour tout le monde, pour tous les âges. » En 40 ans, le temps passé par un enfant dehors sans la présence d’un adulte est passé de cinq ou six heures par jour à trois minutes. 85% des enfants allaient à l’école à pied, à cinq-six ans. Aujourd’hui, ils sont seulement 8% dans les pays de l’OCDE. De plus en plus de collectivités s’intéressent à la place donnée à la participation des enfants dans la vie de la cité. Des concepts tels que « penser la ville à hauteur d’enfants » ou encore les initiatives comme « la rue aux enfants » se développent pour leur rendre la ville plus habitable, leur rendre une partie de l’espace public que la voiture leur a pris : rues piétonnes aux abords des écoles, rues aux enfants. Certaines collectivités en ont même fait le cœur de leur action, en déclarant vouloir créer une « ville à hauteur d’enfants », à l’image de Montpellier. Un enjeu majeur, pour toutes les générations. Une « ville à hauteur d’enfants » est une ville pour tous : apaisée, verdoyante, accessible.    

L’espace public comme lieu d’expression de la participation citoyenne

Quelle relation entre l’espace public politique comme condition de la démocratie et les espaces publics concrets ?

Il s’agit d’expérimenter une autre façon d’élaborer des politiques publiques, dans laquelle le citoyen retrouverait sa capacité à agir, au côté de l’élu. L’espace public devient un lieu d’expression de la participation citoyenne. L’attente citoyenne n’est pas uniquement sur le vouloir mais sur le faire ! « Aujourd’hui, c’est vers les places publiques que nous nous tournons pour « réinventer la Société », car nous y voyons le meilleur lieu d’opération pour l’innovation politique et l’expérience démocratique » assure Joëlle Zask, philosophe, qui traite du sujet dans son ouvrage « Quand la place devient publique ».
La multiplication des espaces de concertation contribue à redonner à l’espace public sa fonction première de lieu d’expression et de mobilisation des citoyens autour d’un bien commun.
Prenons l’exemple des Hyper Voisins : en 2017, Patrick Bernard, fondateur de l’association, esquisse les contours d’une « République des Hyper-Voisins » dans le 14ème arrondissement à Paris, dont l’objet est de démontrer que la convivialité ne relève pas seulement du bon sentiment mais doit être considérée comme un actif économique dans lequel il est impératif d’investir pour penser la ville de demain. Parmi ses différentes actions, l’association prend en charge l’assistance à maitrise d’ouvrage de la transformation d’un carrefour en place de village à Paris dans le 14ème. Objectif : faire de l’animation un vecteur de rencontres et de connexions, pour que les gens vivent mieux ensemble, s’approprient l’espace public et en prennent soin, avec la conviction que la ville de demain, pour être bienveillante et résiliente, doit repenser son maillage au plus près du quotidien des habitants. La première initiative s’est portée sur la place des Droits de l’enfant. Une place est traditionnellement un lieu qui produit du lien. Géographiquement centrale au sein de la petite république, mais passante et peu sécurisée, celle-ci ne remplit pas ce rôle. La transformer en place de village, avec la contribution des habitants, devient donc le projet de l’association. L’association a pu être intégrée à la co-maîtrise d’ouvrage du projet (financement des architectes, des urbanistes, ouvrages en bois, acquisition du mobilier urbain…) et a fait de cette collaboration entre citoyens et services techniques de la ville une initiative digne d’être répliquée.   Pour conclure, un bon espace public doit être pensé pour être évolutif et réversible, avec une intensité d’usages et une diversité des publics pour s’adapter face à des besoins qui évoluent et pour se préparer aux usages d’un futur incertain. Intégrer la nature et favoriser la biodiversité est un enjeu crucial dans la transition écologique afin d’être plus résilient face à la complexité du monde actuel. Enfin, une ville qui soigne ses espaces publics pour tout le monde est une ville qui va vers la démocratie. L’espace public devient un lieu de gouvernance partagée et un lieu d’expression de la participation citoyenne qui souhaite devenir acteur dans la concrétisation et l’exploitation d’espaces publics inclusifs, hybrides, évolutifs et résilients.  Le lieu crée le lien ! L’espace public est le reflet de notre société…     A découvrir :
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