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Et si demain les nouvelles routes de la soie changeaient le monde ?

6 minutes de lecture
Depuis 2013, la stratégie chinoise Belt & Road Initiative (BRI) des Nouvelles Routes de la Soie participe à la construction d’un réseau reliant la Chine au monde : voies ferrées, autoroutes, ports, aéroports, zones industrielles, data centers et réseaux de télécommunication… La Chine finance et construit ainsi des infrastructures dans de nombreux pays tiers en Asie, mais aussi en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Europe. Et si demain ces nouvelles routes changeaient le monde ?
Ces routes seront-elles ouvertes à tous ou sous contrôle chinois ? Existe-t-il une place pour l’Europe ? Imaginons trois scénarios fictionnels de prospective bien distincts permettant d’explorer différents futurs possibles, effrayants ou fascinants.

Scénario 1 – 2050 : De nouvelles routes partagées

En 2050, la circulation terrestre n’a jamais été aussi facile d’un bout à l’autre du continent. Les initiatives chinoises de construction d’infrastructures, initialement strictement réservées aux constructeurs de République Populaire de Chine, se sont progressivement ouvertes au cours des années 2020 et 2030 à des entreprises et financements internationaux. Les réseaux ont été reliés et mis en cohérence avec d’autres projets portés par d’autres états. Aujourd’hui, l’efficacité du rail pour les transports de marchandises est telle que le transport maritime polluant a pu être en grande partie réduit. Un réseau dense de lignes de train à grande vitesse permet également de faciliter le transport international de voyageurs sans recourir à l’avion : ainsi, on se rend désormais de Paris à Athènes ou à Istanbul en une nuit de neuf heures de train, tandis qu’en Asie, la métropole indienne de Calcutta est reliée à la province chinoise du Yunnan en six heures. Cette nouvelle proximité, accessible à tous, a permis des progrès dans de nombreux domaines : en Afrique, la facilitation des échanges a fait progresser rapidement la prospérité des populations ; au Moyen-Orient, la multiplication des circulations entre pays voisins a facilité l’entente culturelle et un apaisement durable des tensions. Les réseaux énergétiques de grande ampleur permettent de mutualiser au mieux les sources d’énergie renouvelables, dont la production intermittente correspond aux besoins en énergie de régions parfois très éloignées. Au-delà des voies de transport, les financements partagés de projets de construction ont également bénéficié à l’adaptation au changement climatique. Certaines régions ont bénéficié d’un effort mondial pour trouver des solutions locales et durables dans des territoires exposés à la montée du niveau des mers. Dans certains cas, des consortiums internationaux ont financé et construit les aménagements nécessaires au maintien de la vie dans les deltas et les plaines côtières. Des cités flottantes ont vu le jour. L’agriculture a évolué, s’adaptant localement aux nouvelles conditions météorologiques, et privilégiant la biodiversité et la consommation locale. Une institution internationale, sous l’égide de l’ONU, a finalement été créée pour coordonner les adaptations au changement climatique à travers le monde, contrôler la réduction des émissions de gaz à effet de serre et réguler les autres activités polluantes. La Chine, désormais force de proposition en termes de normes internationales, a contribué aux côtés d’autres pays à l’établissement de standards communs qui ont généralisé les principes de l’économie circulaire. Grâce à leur ouverture à de nombreux acteurs et aux concertations systématiques avec les communautés locales, les routes de la soie partagées ont apporté de l’apaisement aux relations internationales à travers le monde.

Scénario 2 – 2050 : De nouvelles routes sous contrôle

101 ans après l’avènement de la République Populaire de Chine, le drapeau rouge aux cinq étoiles dorées flotte au côté de caméras de surveillance au-dessus des principaux axes de transport, du Cap jusqu’à Vladivostok et de Brest à Singapour. La formidable résistance de la Chine à la Covid-19, puis aux crises suivantes, lui ont permis de se positionner comme puissance de référence pour les pays alentours. Tandis que les Etats-Unis et l’Europe tentaient de sauver la cohésion sociale et de maintenir à flots leur économie locale, la Chine a accéléré son programme de financement et de construction d’infrastructures à travers le monde. Les corridors logistiques reliant la Chine à l’ensemble de l’Eurasie ont été prolongés au-delà de leur tracé initial et s’étendent désormais sur les cinq continents. En Asie, en Afrique et en Europe, afin de maintenir un semblant de paix sociale, les villes se sont dotées de systèmes de surveillance intelligente, équipés notamment de caméras et d’algorithmes de reconnaissance faciale, et opérés par des sociétés chinoises, qui proposent les meilleures technologies en la matière. Les concessions d’exploitation de ports, d’aéroports comme de nombreuses autoroutes ont suivi, la Chine offrant des conditions économiques avantageuses à des états affaiblis. Le contrôle économique des routes et ports les plus stratégiques s’est progressivement doublé d’un contrôle sécuritaire. Les prestataires de sûreté de République Populaire sont partout présents aux points de contrôle des infrastructures, garantissent la fluidité des circulations, mais permettent aussi à l’Etat de suivre les populations et les flux de marchandises en temps réel. La surveillance terrestre, physique et technologique, est doublée d’un suivi fin depuis l’espace, opéré à partir d’une dense ceinture de satellites. Certains Etats ont adopté le système de crédit social automatisé, désormais déployé et opéré gratuitement par les géants du numérique chinois. Dans ce contexte, la Chine bénéficie en 2050 d’un puissant appui pour assurer une certaine stabilité politique dans les territoires qui lui sont stratégiques : les conflits violents se sont faits de plus en plus rares sous la surveillance omniprésente, amenant certains à proclamer une nouvelle ère de pax sinica. Cette situation contribue à maintenir des régimes stables pour fournir la Chine en matières premières ainsi que pour exporter sa production. A ce titre, les normes chinoises se sont diffusées de gré ou de force dans les états clients : sur les autoroutes et les voies ferrées, on voit passer d’un bout à l’autre du continent de longs convois transportant des modules de construction destinés à assembler en un temps record sur site des bâtiments standardisés, largement pré-finis en usine. Lorsque les effets du changement climatique plongent dans le chaos certaines parties du monde, tous les regards se portent sur la Chine qui décide alors, selon ses intérêts, d’apporter ou non son aide massive. Les plans de sauvetage attribués aux territoires en détresse financent et opèrent une relocalisation massive de la population dans des villes nouvelles connectées – et surveillées. Au fil des années, la sécurité alimentaire mondiale est devenue un enjeu clé, pour laquelle la Chine propose son aide et ses capacités d’organisation, d’agronomie et de géo-ingénierie – la méthode de contrôle des précipitations s’est généralisée – en échange de l’application locale d’un plan de contrôle des naissances dans les états bénéficiaires.

Scénario 3 – 2050 : De nouvelles routes européennes

En 2050, l’Europe s’est constituée en grande puissance à l’égal de la Chine, des Etats-Unis et de nouvelles forces. Dès les années 2020, le Brexit et la crise de la Covid-19 ont constitué un électrochoc, couplé avec la prise de conscience de la dépendance de l’Europe aux géants du numérique internationaux et de sa vulnérabilité aux campagnes de désinformation. L’Europe élabore alors un plan ambitieux pour revenir en force sur la scène internationale tout en affirmant ses valeurs démocratiques et la protection de la planète. De nouvelles entreprises de services numériques sont constituées à marche forcée, sur des principes de préservation de la vie privée et d’égalité d’accès à une information de qualité. Les géants économiques européens existants sont consolidés, recentrés sur la proposition de solutions durables et bas carbone pour les territoires du monde. Au Moyen-Orient, en Asie Centrale, en Afrique, certains projets initialement lancés sous l’égide des nouvelles routes de la soie sont adaptés voire entièrement revus pour tenir compte des aspirations de la population et pour s’orienter vers l’adaptation locale au changement climatique ; les entreprises européennes participent à ces échanges concertés, et deviennent les championnes de la résilience territoriale couplée à un usage du numérique régulé et apaisé. Mais ce jeu d’influences entre puissances rivales crée aussi son lot de tensions, qui prennent différentes formes selon les enjeux locaux. Chaque région est priée de choisir son camp sous peine de sanctions. Certains tentent de maintenir un équilibre, comme Singapour et la Thaïlande, qui échouent après maintes péripéties politiques : la Thaïlande est dépassée par l’influence chinoise, matérialisée par la construction d’un canal indo-pacifique, qui à son inauguration en 2042 permet aux navires chinois de contourner le détroit de Malacca et Singapour qui a finalement été intégrée à la zone d’influence américaine. Certains états sombrent dans des conflits d’influence violents, comme Taïwan ou le Panama, tandis que d’autres choisissent de s’ouvrir à l’Europe, bénéficiant ainsi d’un soutien à leurs institutions démocratiques, de conseils et d’investissements importants pour opérer une transition écologique et préparer la résilience locale aux évènements climatiques extrêmes qui se multiplient. Les cyber-attaques et sabotages numériques perturbent de nombreux projets, tandis que des incidents suspects coupent régulièrement les couloirs logistiques, entraînant des perturbations d’approvisionnement qui favorisent des échanges locaux. Le réseau internet, autrefois uni, se scinde partiellement en plusieurs réseaux régulés par des puissances distinctes, passant par des câbles sous-marins parallèles et sous surveillance. Les tensions se portent aussi sur les régions productrices de ressources naturelles stratégiques, comme les métaux rares, indispensables à chacune des puissances pour assurer sa souveraineté numérique, politique et industrielle.