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Comment le numérique peut-il renforcer la résilience des territoires ?

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Appliquée aux territoires, la résilience désigne la capacité de fonctionner indépendamment de perturbations, qu’il s’agisse de chocs brutaux et soudains (ex : inondation, émeute, attaque terroriste) ou de stress chroniques sources de pression continue (ex : pollution de l’air, vieillissement des infrastructures, incivilités). Si le numérique a incontestablement un rôle à jouer pour renforcer la résilience des territoires, il est également porteur de vulnérabilités. A quelles conditions le rapport entre d’une part, les bénéfices liés à l’usage du numérique, et d’autre part, les impacts environnementaux et les vulnérabilités induites, peut-il être favorable ?

Atouts : l’exemple du jumeau numérique

La gouvernance de la data est un outil clé pour anticiper les phénomènes, connaître et diagnostiquer les vulnérabilités du territoire, modéliser des scénarios futurs en fonction de l’évolution des effets climatiques, diffuser des alertes, gérer l’urgence. Les outils numériques peuvent également faciliter les approches systémiques et servir de vecteur pour mobiliser plus largement les parties prenantes, en particulier les citoyens. C’est le cas par exemple du jumeau numérique de territoire, qui constitue une réplique virtuelle d’un territoire tel qu’il fonctionne. Loin de constituer une simple réplique 3D d’un territoire, il agrège des données multiples (réglementaires, géospatiales, environnementales, d’usages, mais aussi données en temps réel issues des capteurs) pour constituer une représentation de la ville et créer de l’information qui guidera l’action. Architecture, urbanisme, usages et leurs conséquences (prix immobiliers, pollution, …), réseaux et leurs flux, ressources du sous-sol et couches géologiques sont susceptibles de figurer dans ce type d’outil. L’outil offre alors un potentiel presque illimité d’applications et peut notamment permettre de simuler ou gérer une crise, en jouant des scenarii de perturbation, par exemple. C’est aussi un outil puissant pour transformer les organisations en raison de son approche systémique et de sa capacité à fédérer autour d’un référentiel commun. Source unifiée de données sur le territoire, il peut favoriser la collaboration entre les services et le désilotage des métiers et contribuer à la mise en œuvre de politiques systémiques, plus efficaces. C’est par exemple l’un des objectifs affichés de Rennes Métropole, à travers le déploiement de son outil 3DEXPERIENCity Virtual Rennes. Néanmoins, comme le rappelle la Banque des Territoires dans son guide Miroir, miroir… : le jumeau numérique du territoire, la mise en œuvre d’un jumeau numérique nécessité une véritable maturité de la collectivité territoriale en matière de conduite de projets de transformation digitale ainsi que la réalisation d’une analyse de risques et d’opportunités au regard des enjeux éthiques, juridiques, économiques, de choix technologiques, de gouvernance et de cyber-sécurité liés à ce type de projets.

Vulnérabilités

Malgré ces atouts, le numérique est également porteur de vulnérabilités, face à des aléas naturels ou liés à l’activité humaine. Un aléa naturel peut s’accompagner d’effets cascades entraînant une défaillance de certains outils numériques sur un territoire donné. En 2012, à la suite de l’ouragan Sandy balayant la côte du New Jersey et le sud de l’Etat de New York de pluies et vents violents, les réseaux techniques de la Ville de New York étaient particulièrement impactés : interruptions de courant, perturbation du réseau filaire, mobile et internet pendant plusieurs jours. De même, des actes de cybercriminalité peuvent paralyser les services municipaux sur une durée plus ou moins longue. En France et à l’étranger, l’année 2020 a été marquée par une forte progression des cyberattaques touchant des collectivités territoriales de tous niveaux et de toutes tailles : Région Grand Est, Conseil départemental d’Eure-et-Loire, Métropole Aix Marseille Provence, communauté d’agglomération de La Rochelle, Ville de Bondy (53 439 habitants) ou encore Ville de Saint-Paul-en-Jarez (4 831 habitants). Ces cyberattaques ont conforté la création en 2020 d’un Institut national pour la cybersécurité et la résilience des territoires. Le numérique a également un impact fort sur les écosystèmes : il est responsable de près de 4% des émissions carbonées mondiales, soit le double du transport aérien civil et a produit en 2019 dans le monde 53,6 millions de tonnes de déchets d’équipements électriques et électroniques pas ou peu recyclables, soit 21% de plus qu’en 2014, selon l’Observatoire mondial des déchets électroniques.

Sobriété et right-tech : avoir recours aux technologies justes et suffisantes

Dès lors, la mesure du rapport entre, d’une part, les bénéfices liés à l’usage du numérique, et d’autre part, les impacts environnementaux et les vulnérabilités induites (face aux aléas naturels et aux risques de rupture d’alimentation électrique et de cybercriminalité) s’avère nécessaire. Des outils sont développés à cet effet à l’image du modèle mathématique STERM (Smart Technologies Energy Relevance Model) conçu par The Shift Project afin d’analyser la pertinence énergétique nette de projets connectés. Le code de l’outil est accessible de manière libre afin d’encourager les acteurs privés et publics à s’en saisir et à mettre au point des outils opérationnels adaptés à leurs besoins. Interviewé par Usbek & Rica, Maxime Efoui-Hess, un des auteurs du rapport « Déployer la sobriété numérique » décrypte les enjeux liés à ce type d’outils : « Quand on rajoute une couche “connectée” à une lampe, ça permet dans certains cas d’économiser directement de l’énergie par rapport à ce qu’elle aurait consommé sans cette couche. Mais il faut aussi prendre en compte l’énergie qu’on aura consommé pour produire ce système et la consommation du système connecté en lui-même. Ces enjeux sont complexes, mais les outils méthodologiques pour mener ces évaluations sont là. Il faut maintenant arriver à les mettre en place. » Plus généralement, le concept émergent de right-tech propose une voie d’innovation frugale : avoir recours aux technologies justes et suffisantes pour répondre à un besoin identifié, tout en s’astreignant au respect de contraintes environnementales fortes. Rompant avec les principes de course à la technologie et de complexité, l’approche right-tech s’inspire des principes du low-tech, sans refuser l’usage de technologies de pointe si cela est pertinent, et au regard de bilans prévisionnels environnementaux.

Retour d’expérience : le poste de pilotage connecté ON Dijon pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19

Rien de tel qu’un retour d’expérience à la suite d’une perturbation pour évaluer la résilience d’un territoire : dans le cadre de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le premier confinement du printemps 2020 a révélé l’efficacité du poste de pilotage connecté ON Dijon (dont Bouygues Energies & Services est membre du groupement en charge de la réalisation et de la gestion). Inaugurée en 2019, la plateforme numérique de la Ville de Dijon et des 23 communes du territoire métropolitain permet de gérer de façon centralisée l’ensemble des équipements urbains (feux de circulation, circulation des tramways, éclairage public, vidéoprotection, gestion du réseau d’eau, etc.). Avec ce projet d’envergure en matière d’Open Data, les différents services de la collectivité avaient pris l’habitude de travailler ensemble et la commande à distance et en temps réel des équipements a facilité la gestion de l’urgence sanitaire : pilotage des feux tricolores pour donner la priorité aux véhicules de secours, déclenchement du verrouillage et télésurveillance de tous les bâtiments publics vides en évitant d’avoir des agents sur place, priorité donnée aux bus dans les carrefours pour que les soignants mobilisés perdent le moins de temps possible dans les transports. Le service Allo Mairie a été transformé en numéro vert accessible 24h/24 pendant le confinement afin que les citoyens puissent poser toutes leurs questions liées à la crise, à l’exception de questions médicales. Le portail téléphonique est ainsi passé d’un service d’information sur les services municipaux (ex : horaires d’ouverture des piscines) à un numéro de renseignement sur les décisions locales et nationales. Entre le 15 mars et le 13 avril 2020, près de 4 650 appels ont été traités (attestations de sortie, ouverture de commerces et des écoles, fake news, mesures de déconfinement, etc…). La collectivité a notamment pu répondre aux interrogations sur la gestion des déchets et encourager les gens à ne pas tous se rendre à la déchetterie lors de la réouverture pour éviter les engorgements et les regroupements de population. Ces appels ont permis à 95 personnes isolées et non connues du centre communal d’action sociale de se signaler. En favorisant la fluidification des échanges, une capacité de réactivité et l’amélioration de la coordination entre les services, l’outil a contribué à renforcer la résilience du territoire face à cette crise. Mais il est également calibré pour faire face à d’autres types de perturbations. En anticipation du risque d’inondation par exemple, il centralise des données relatives à la mesure du niveau de l’eau et peut organiser le lancement et la diffusion des alertes rapidement si un choc est imminent. A terme, une application de participation citoyenne sera intégrée pour favoriser la mobilisation des citoyens et bénéficier de leur maîtrise d’usages.