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La gratuité des transports publics : enjeux et positions des acteurs du débat

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La question de la gratuité des transports publics a été largement débattue à l’occasion des élections municipales de 2020. En tête d’affiche de nombreux documents de campagne, sa présence démontre son caractère politique, certes, mais également environnemental et sociétal. Plusieurs enjeux découlent de la mise en place d’une telle politique publique. Décryptage des positions des acteurs du débat.
Transports gratuité

La gratuité des transports comme levier de la transition écologique ?

Au centre du débat concernant l’émergence de politiques publiques visant la gratuité, partielle ou totale, se pose la question de la place de l’automobile dans nos sociétés contemporaines. La gratuité des transports est le fer de lance des élus et des acteurs publics, notamment pour le respect des engagements de l’Union Européenne à l’horizon 2050 visant la neutralité carbone. Or, actuellement en France les deux secteurs les plus polluants sont ceux de la construction et du transport. En 2019, le secteur du transport représentait 31 % des émissions françaises de gaz à effet de serre selon le Rapport sur l’état de l’environnement en France. Il apparaît évident qu’une modification des usages et pratiques de mobilité en faveur des mobilités douces contribuerait à cet objectif européen et national. Pourtant, si l’argument environnemental est pertinent, il reste largement controversé par le lien fait entre la transition écologique et la valorisation du transport public. En effet, l’application à grande échelle d’une politique de gratuité des transports en commun, dont l’un des gains principaux selon ses partisans serait la modification des comportements en faveur d’une réduction de l’emprise de la voiture individuelle, ne peut suffire à elle seule à porter une politique alternative à l’automobile. A l’enjeu environnemental se substitue ainsi l’enjeu électoral et sociétal, puisqu’une part croissante de la population se sensibilise à la question écologique, souhaitant plus de transparence et de mobilisation des acteurs politiques. La mise en place de la gratuité en matière de transport public peut avoir un impact sur la fréquentation des axes de communication, ce qui vient poser également le problème de l’offre de transport en elle-même. Dans le rapport du GART de 2019 sur la gratuité des transports publics, il est démontré que les réseaux de transport où la gratuité a été mise en place ont connu une hausse significative de la fréquentation, notamment lors de la première année d’instauration. Cela pose alors le problème de la qualité de l’offre de transport mais également de la sur-utilisation des moyens de transport motorisés (bus, tramway, métro, etc.), puisque les nouveaux usagers sont parfois d’anciens utilisateurs de mode de transports actifs (vélos, trottinettes, etc.). A Dunkerque, selon une étude menée par l’Observatoire des transports gratuits, on note que 10 % des usagers ont mis en vente une voiture ou ont renoncé à l’achat d’une voiture grâce à la gratuité du bus. Le report modal de la voiture vers le bus est quant à lui évalué autour de 24 % et la hausse de la fréquentation des nouveaux bus gratuits est de 85% entre 2018 et 2019, première année de gratuité. Force est de constater que cet argument environnemental, sous-jacent à la mise en place des politiques de gratuité des transports, s’avère finalement paradoxal. Certes, d’un point de vue purement pragmatique, afficher clairement la volonté politique de soutenir la transition écologique en proposant de réduire l’impact carbone des déplacements des citoyens peut permettre, à terme, la modification des usages et des pratiques en matière de mobilité. Néanmoins, il semble illusoire de fonder l’espoir d’un transport décarboné d’ici 2050 sur le seul concept de gratuité, d’autant que d’un point de vue socio-économique, le modèle est encore largement débattu.

Quel modèle économique ?

On compte, dans le monde entier, une centaine de réseaux de transports métropolitains qui pratiquent la gratuité totale. L’exemple le plus édifiant est celui de la capitale Estonienne, Tallinn, qui avec une population de plus de 440 000 habitants, fait office de référence et est même “la capitale des transports gratuits” selon les mots de la Commission Européenne. Pourtant, il faut bien comprendre que ce modèle n’est pas transposable à toutes les situations. En l’occurrence, le maire à l’origine de cette initiative, Taavi Aas, issu d’un parti de l’opposition, n’a pas obtenu les subventions demandées pour moderniser un réseau de transports de moins en moins utilisé par les habitants. Il a décidé, face à la montée du trafic automobile, à la hausse du chômage et de la précarité, de les rendre gratuits uniquement pour les habitants résidant et payant leur impôts dans la capitale. Il a financé cette mesure grâce à l’augmentation des recettes des impôts locaux en incorporant près de 22 000 habitants à Tallinn sur 4 ans. Cette gratuité concerne les 4 lignes de tramway de la ville qui représentent 934 kilomètres. Pour bien comprendre les différences d’échelles, au niveau de la région francilienne cela concernerait plus de 12 millions d’habitants et si l’on comprend les bus de la banlieue parisienne le réseau correspond à près de 26 500 kilomètres de ligne. A titre d’exemple, l’instauration de la gratuité des transports publics à Dunkerque a été effectuée à l’issue d’un arbitrage budgétaire de la commune, impliquant le report d’un projet de salle de sport et de spectacle Arena de 10.000 places, afin de financer la gratuité des transports en commun, qui a eu des effets notables. En effet, le 1er septembre 2018, Dunkerque est devenue la plus grande agglomération de France et d’Europe à mettre en place la gratuité pour tous sur l’ensemble de son réseau de bus. Cependant, il est important de noter que si Dunkerque a pu mettre en place la gratuité des transports publics dans l’espace urbain, c’est notamment dû au fait que les recettes liées à la vente des transports représentaient 10% du budget transport global avant le passage à la gratuité, contre 30% à Paris ou à Lyon.  

Des enjeux politiques croissants

Ainsi, la gratuité des transports fait débat. A Pau, par exemple, les élus locaux souhaitent voir le déploiement de cette politique mais ils se heurtent à divers opposants. Selon eux, la mise en place de la gratuité des transports dans la commune serait une erreur et ce, malgré le fait que de nombreuses villes aient pu y parvenir en France et en Europe (Niort, Dunkerque, Luxembourg, etc.). Pour le Syndicat mixte des transports urbains, le développement d’une telle politique dans l’agglomération de Pau serait contre-productif, menant à terme à la suppression de lignes de transport périphériques pour “maintenir un équilibre financier”, rendant le centre-ville encore moins accessible aux populations défavorisées tout en étant une mesure sans impact réel sur l’utilisation de la voiture. En effet, les enseignements du GART sur la gratuité des transports publics indiquent que le report modal de la voiture particulière vers les transports publics reste encore très difficile à mesurer. Les élus en faveur de cette mesure ont ainsi proposé un projet de gratuité partielle qui ne concernerait que les week-ends, ce qui permettrait de limiter le coût économique tout en favorisant l’adoption de la proposition. Si la question de la gratuité a été et est encore prégnante dans les débats politiques au sein des petites, moyennes et grandes villes, c’est qu’elle apparaît comme une solution à la crise sociale et écologique. Garantir les déplacements aux plus démunis, revaloriser les centres-villes en déprise et changer durablement les pratiques et usages de la voiture individuelle vers des modes de déplacements doux et collectifs, sont autant d’arguments visant à légitimer la mise en place de cette politique de transport public. La gratuité des transports en commun implique donc de nombreux enjeux, qu’ils soient environnementaux, socio-économiques, techniques, financiers ou politiques. Le débat reste ouvert.   A lire également :
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