fbpx

Quelles perspectives pour les transports en commun ?

5 minutes de lecture
en partenariat avec
De l’Hyperloop aux drones-taxis, les projets technologiques spectaculaires de transports fleurissent. Mais qu’en est-il de la concrétisation de futurs transports en commun du quotidien à la sortie de la crise du Covid ?

Crise sanitaire : rupture ou simple aléa pour les transports partagés ?

En 2020 et 2021, nous avons assisté lors de la crise sanitaire à une remise en cause de certains modes de transport habituels. Les mobilités douces ont bénéficié massivement des reports modaux lors de la crise, en particulier pour les courtes distances, et avec en premier lieu le vélo dans les grandes villes. Accompagnée par de nouveaux aménagements temporaires ou définitifs, sa pratique a fortement cru au fil de la crise. L’utilisation de la voiture personnelle a également fortement repris entre les périodes de confinement jusqu’à atteindre un niveau normal sur le périphérique parisien en Septembre 2020. Mais les transports en commun ont fortement souffert de la crise : l’Institut Paris Région relève par exemple que la fréquentation des transports en commun d’Ile-de-France stagne depuis Novembre 2020  autour de 50% de son niveau habituel ; lors de la rentrée de Septembre 2020 et hors des restrictions sanitaires, elle avait marqué un pic à 65%  de la norme.[1] Ce rejet est-il purement spécifique à la situation sanitaire ou est-il destiné à durer ? Avant la crise du Covid, le transport en commun restait un mode de transport plus utilisé dans les grandes villes. Ainsi en France, selon l’INSEE, son recours est le plus massif dans l’aire d’attraction de Paris, où il représente le mode de déplacement quotidien d’environ 44% des actifs.[2]  Mais en dehors de Paris, il ne concerne que 14% des actifs des pôles urbains, et seulement 2% des actifs résidents des communes hors attraction des villes. Nous n’avons pas encore assez de recul pour mesurer la réalité du mouvement d’exode urbain médiatisé lors de la crise du Covid-19 ; toutefois si celui-ci s’avère exact,  il ne se fera sans doute pas au bénéfice des transports en commun, dont le maillage est peu développé dans les aires faiblement peuplées.

Véhicules individuels contre transports en commun

En 2019, Elon Musk, le médiatique PDG de Tesla, s’est publiquement plaint de de la difficulté de déployer les véhicules et bornes de recharge électriques à Singapour. Réponse officielle de la cité-état : « Elon Musk veut favoriser un mode de vie individualiste (…) tandis que nous voulons favoriser les transports en commun ».[3] Thermique comme électrique, la voiture individuelle n’y est plus bienvenue. Une vision qui résume la mise en opposition entre véhicules individuels et collectifs, que l’on retrouve dans les grandes villes européennes : entre autres, à Paris, à Londres, et de manière bien plus radicale à Oslo. Revenons à Singapour : les transports y sont planifiés depuis les années 1970 de façon centralisée. L’autorité organisatrice des transports supervise à la fois les transports en commun (dont le métro MRT), la voirie sur le territoire entier de la cité état, mais aussi les taxis. Une politique de planification est déployée de manière à taxer et décourager l’usage de la voiture individuelle tout en finançant un réseau de transport en commun dense et efficace. L’objectif est simple et ambitieux : en 2040, tout déplacement dans l’état doit être possible en moins de 45 minutes.[4]Cela passe par des travaux pharaoniques : les 182 kilomètres de lignes de métro en service en 2014 doivent doubler avant 2030.

Métro-ville : un modèle de mobilité de masse mondialisé

Ces travaux ambitieux se retrouvent dans de nombreuses villes d’Asie, et en premier lieu en Chine : en 2019, c’est plus de 970 kilomètres de nouveaux réseaux ferrés urbains qui ont été inaugurés dans 40 villes de République Populaire… En un an[5] ! Un rythme de déploiement élevé, pour faire face aux besoins de mobilités des villes, récentes, nombreuses, et très peuplées, et pour lequel le métro constitue une réponse d’une efficacité difficilement égalable. C’est pourquoi on le retrouve dans plus de 150 villes du monde (en 2018), principalement en Asie (54) et en Europe (46). Avec plus de 194 lignes créées ou étendues entre 2010 et 2014, ce mode de transport progresse vite et garde de larges perspectives pour les décennies à venir dans les pays en développement en particulier. Mais le développement de ces réseaux ne s’arrête pas aux pays en développement. La métropole parisienne comme celle de Londres déploient de nouvelles lignes, très ambitieuses, pour tenter de s’affranchir des problèmes de leurs réseaux respectifs tout en valorisant leur territoire. A Paris, c’est le Grand Paris Express, constitué de 4 nouvelles lignes de métro principalement en rocade, pour un total de 200km, planifiées pour une ouverture entre 2024 et 2030, qui doit répondre aux difficultés à circuler en transports en commun entre quartiers de la petite couronne. A Londres, c’est le Crossrail Elisabeth Line, ligne transversale de 118km reprenant certains tronçons de lignes existantes, qui doit réduire la saturation du réseau et faciliter les circulations Est-Ouest. Des projets pensés également pour valoriser certains fonciers, développer de nouveaux quartiers et valoriser l’existant, mais pour lesquels l’évolution des prix immobiliers autour des gares reste difficile à prévoir. Les budgets de construction, là aussi, se révèlent difficile à estimer avec précision. Mais les métros ne sont pas réalisables partout. Dans des villes moins denses, ou de dimensions plus réduites, le bus s’impose : adaptable à tout réseau routier, c’est le moyen de transport en commun le plus utilisé dans le monde. Le tramway, plus léger que le métro et plus qualitatif que le bus, est lui aussi-plus répandu que le métro, avec 388 villes dans le monde en 2018. Certains bus en site propre atteignent l’efficacité du tramway ou du métro dans certaines villes, à un coût bien inférieur. Mentionnons les transports en commun informels (taxis partagés, vans, collectivos, etc.) qui représentent une part importante des déplacements notamment dans les pays en développement. Les téléphériques urbains représentent parfois des solutions intéressantes pour les villes, notamment lorsqu’ils permettent de couvrir un dénivelé important, ou lorsqu’ils survolent des espaces contraints (infrastructures, friches, cimetières, plans d’eau…). Pour les villes où les plans d’eau, fleuves et canaux peuvent servir d’infrastructure, on voit apparaître de nouveaux concepts de transports urbains fluviaux : par exemple les SeaBubbles testées à Paris pour une circulation à 40km/h contre les 12km/h autorisés actuellement, ou les Flybus s’apparentant à des vaporetti de 49 passagers en beaucoup plus rapide. Enfin, le co-voiturage du quotidien, bien qu’il peine à se développer sur les trajets domicile-travail, pourrait représenter une alternative au déplacement individuel… à l’aide de véhicules individuels ! Faut-il comptabiliser comme transport collectif les VTC partagés, comme par exemple l’offre « Uber Pool » suspendue pendant la crise du covid-19 pour des raisons sanitaires ?

Demain, le meilleur des deux mondes ?

Et les projets de futurs transports difficiles à classifier entre individuel et collectif sont nombreux. Selon certains, ils mêlent « le meilleur des deux mondes ». Ils peuvent aussi pour d’autres être de coûteux mégaprojets ne répondant pas aux vraies problématiques de mobilité du plus grand nombre. Citons notamment les taxis modulables de Next, les roues géantes sur rail de Fünambul, les bulles OTO se déplaçant à l’horizontale comme à la verticale d’immeubles, les skyTran suspendus. Ces projets ont en commun de nécessiter des infrastructures dédiées, de favoriser des espaces isolés pour un ou quelques utilisateurs tout en regroupant plusieurs modules sur certaines portions de trajets pour gagner en efficacité. Mais on peut aussi utiliser de nouveaux véhicules sur les infrastructures routières existantes : de nombreux projets s’appuient ainsi sur la vaste mutation du transport individuel constituée par la conduite autonome. Testée depuis plusieurs années notamment par Tesla, Uber, Google et Waymo pour Alphabet, mais aussi entre autres les français Navya et Renault, la possibilité pour les véhicules de circuler sans aucun conducteur ouvre la voie à de nombreux nouveaux services implantés dans les véhicules : bureaux roulants, mais aussi bibliothèques, espaces de loisirs et de fête… Cela fait alors du véhicule autonome un mode partagé et non une propriété privée individuelle. Bien qu’il soit peu probable que cela réduise le trafic routier – cela pourrait même l’accentuer selon certains experts – les parkings en centre-ville pourraient être affectés et libérer de l’espace pour de nouveaux usages. Certains revendiquent une approche plus élitiste en proposant de développer le transport en commun urbain aérien. Là où d’un côté les « voitures volantes » Aeromobil ou Pal-V nécessitent un brevet de pilote et sont donc peu susceptibles de se développer, d’un autre côté, Uber, Airbus avec Vahana, et Lift Aircraft avec HEXA, partagent l’ambition d’utiliser des véhicules autonomes et sans pilotes. Ces drones géants seraient affectés à des plateformes dédiées et ne pourraient donc pas se poser partout… Ce qui les rend aussi peu flexibles qu’un réseau de métro ! Leur avenir reste incertain, bien qu’Uber affiche dur comme fer son ambition de les faire voler en ville dans quelques années. Ces expériences rappellent en réalité les lignes d’hélicoptère urbains, comme celle qui a pu exister à New York City entre l’aéroport et le toit de l’immeuble Panam de Manhattan entre 1965 et 1968 pour les passagers de classe affaire, ou la ligne ralliant encore aujourd’hui l’aéroport de Nice à Monaco « au prix imbattable de 140€ aller ».[6] Un mode de transport qui ne semble donc pas s’adresser à tous au quotidien, que ce soit pour une question de budget ou de capacité. Enfin, on constate l’essor de nombreux projets de transports en commun interurbains rapides alternatifs au train classique, utilisant en particulier la sustentation magnétique : l’Hyperloop, en projet en Californie pour une vitesse allant jusqu’à 1220 km/h ; Le Chuo Shinkansen ou Tokaido Shinkansen Bypass ralliant Tokyo à Nagoya en 40 minutes en 2027 ; le HTT en essai à Toulouse, ou encore le SpaceTrain, basé sur le projet français d’aérotrain sur monorail de Jean Bertin dans les années 1960-1970, atteignant 700km/h et dont les tests reprennent sur le monorail proche d’Orléans. Mais ces nouveaux développements sont-ils vraiment nécessaires lorsque les trains à grande vitesse sont disponibles et lorsque certains estiment que la demande de mobilité pourrait diminuer ?

Vers la démobilité ?

Tous ces projets offrent différentes perspectives d’évolution pour les transports en ville. En complément aux mobilités douces, les transports en commun peuvent être légers et dédiés aux distances courtes et moyennes (bus, modes informels), ou plus massifs et efficaces mais nécessitant d’importants investissements (métro et plus généralement modes ferrés). De nouvelles technologies pourraient apporter de nouvelles solutions, bien que celles entrevues aujourd’hui ne semblent pas répondre immédiatement aux besoins du plus grand nombre. En arrière-plan, la mutation du véhicule autonome pourrait entraîner de nouvelles configurations. Mais ce n’est pas tout. Le recentrage de la ville sur les courtes distances, incarné par exemple par le concept de la ville du Quart d’Heure porté par Carlos Moreno, offre par ailleurs une alternative intéressante. Il permet en effet d’offrir plus de services sur de courtes distances, et donc de réduire les besoins de mobilité et in fine les besoins de nouveaux modes de transport, individuels comme collectifs. Cette démobilité pourrait donc aller de pair avec des proximités repensées, comme nous l’analysions en 2018 dans un cahier de tendances « Villes et mobilités, réinventer les proximités »[7] En complément, le développement du télétravail pourrait réduire les besoins de mobilité au quotidien, et par conséquent leur bilan carbone, bien que cela soit à nuancer comme évoqué dans un précédent article. Enfin, on pourrait imaginer à la manière de François Bellanger[8] de nouvelles mobilités douces, soutenues par des infrastructures d’hygiène et inspirées par le sport urbain : natation, voile, running, randonnée urbaine… Comme moyens de déplacements de demain.     [1] Source : Institut Paris Région, Tableau de bord de la mobilité en Île-de-France, Mai 2020 https://www.institutparisregion.fr/mobilite-et-transports/deplacements/tableau-de-bord-de-la-mobilite-en-ile-de-france/ [2] INSEE, 2021, https://www.insee.fr/fr/statistiques/5013868#titre-bloc-9 [3] South China Morning Post, 22/08/2019, https://www.scmp.com/news/asia/southeast-asia/article/3023835/singapore-hits-back-elon-musk-saying-electric-cars-are [4] Land Transport Authority, Land transport master plan 2040, 20-minute Towns and a 45-minute City. https://www.lta.gov.sg/content/ltagov/en/who_we_are/our_work/land_transport_master_plan_2040.html [5] Selon l’Association chinoise des métros. [6] https://www.monacair.mc/fr/routes/helicoptere-nice-monaco/ [7] https://www.bouygues-construction.com/blog/fr/non-classe/villes-mobilites-reinventer-proximites/ [8] Notamment dans le cadre du think-tank et du blog Transit-City : http://transit-city.blogspot.com/