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Futurs énergétiques : quel mix pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ?

6 minutes de lecture
En 2019, la France se fixait l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le respect de cet engagement climatique impose d’accélérer la décarbonation du pays et de redéfinir le système énergétique, encore dépendant aux deux tiers des énergies fossiles. A l’heure où le pays lance les consultations sur la future Stratégie française sur l’énergie et le climat, qui constituera la feuille de route nationale pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et adapter notre société aux impacts du changement climatique, trois études prospectives de l’ADEME, de RTE (Réseau de Transport d’Electricité) et de l’association NégaWatt, interrogent nos futurs énergétiques.
futurs mix énergétiques

Scénario Négawatt : sobriété, efficacité et priorité aux énergies renouvelables

En octobre 2021, l’association NégaWatt ouvrait le bal en publiant son cinquième scénario de transition énergétique pour la France 2022-2050. La vision de cette association, créée en 2001, repose sur trois piliers : • La réduction des besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l’énergie ; • L’efficacité pour réduire la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction d’un même besoin ; • La priorité donnée aux énergies renouvelables (EnR), qui peuvent remplacer progressivement les énergies fossiles et nucléaires. En 2050 selon ce scénario, pétrole, gaz fossile et charbon auront quasiment disparu du paysage énergétique français, et le dernier réacteur nucléaire sera fermé depuis 2045. La consommation d’énergie primaire sera divisée par trois, et la production d’EnR, multipliée par trois, portée notamment par le développement de l’éolien terrestre et maritime. Les nouveautés de ce scénario, par rapport à sa précédente version de 2017, tiennent à la prise en compte des émissions importées et des ressources disponibles : les émissions de gaz à effet de serre engendrées par la fabrication à l’étranger de biens importés en France sont comptabilisées, et le scénario s’appuie sur les évolutions possibles de consommation et de production de matériaux (acier, béton, cuivre, plastiques, lithium, etc.).

Scénarios RTE : augmentation de la part de l’électricité dans les consommations et forte croissance des énergies renouvelables

Au même moment, RTE présentait les grands enseignements de son étude « Futurs Energétiques 2050 ». L’étude détaille six scénarios de mix électrique, qui permettent tous d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Ils partagent plusieurs points communs : diminution de la consommation finale d’énergie, augmentation de la part d’électricité et forte croissance des EnR dans la production d’électricité. Comme le scénario Négawatt, l’étude de RTE envisage les effets de l’efficacité énergétique et de la sobriété sur le niveau de consommation. L’efficacité énergétique permettrait d’envisager un gain de consommation de 200 TWh grâce à des politiques publiques volontaristes de rénovation des bâtiments, à la diminution progressive de la consommation énergétique des biens d’équipements, et à l’électrification de certains usages, tels que ceux liés aux transports. En parallèle, des changements profonds des modes de vie, vers plus de sobriété énergétique, permettraient d’économiser 90 TWh supplémentaires. Il s’agit par exemple de limiter volontairement la consommation de chauffage et d’eau chaude, d’accroître le recours au télétravail tout en limitant les surfaces de bureaux, de réduire la vitesse moyenne de circulation et la taille des véhicules, et de réduire les besoins de certaines industries (ex : industrie agro-alimentaire, dans le cadre d’une alimentation moins transformée). Présentes dans tous les scénarios envisagés, les EnR occuperont, à l’horizon 2050, entre 50 et 100% du mix énergétique français. Leur déploiement significatif s’impose donc. D’un point de vue technologique, plus la part des EnR sera importante dans le scénario retenu, plus les capacités de stockage et de redimensionnement des réseaux devront être importantes. La variabilité des EnR devra être compensée par de la flexibilité : de nouvelles capacités de stockage devront être développées (hydrogène, batteries) ; les interconnexions électriques transfrontalières joueront un rôle fondamental pour mutualiser les productions en EnR au niveau européen ; et le numérique permettra un pilotage optimisé de la consommation.
Trois scénarios prévoient un système à 100% EnR, couplé à une sortie plus ou moins progressive du nucléaire existant. Trois autres scénarios mixent EnR et nucléaire envisagent la construction de réacteurs nouvelle génération EPR. Deux de ces scénarios donnent néanmoins une large priorité aux EnR qui y représentent plus des deux-tiers de la production totale. Seul un scénario, le plus nucléarisé, mise sur une production à parité égale entre le nucléaire et les EnR.

Scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME : sobriété, gouvernance partagée, technologies et innovation

Un mois plus tard, en novembre 2021, c’était au tour de l’ADEME de dévoiler Transition(s) 2050 et ses quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Deux scénarios, « Génération frugale » et « Coopération territoriale » s’appuient sur une transformation des modes de vie et une gouvernance plus partagée. Les deux autres scénarios, « Technologies vertes » et « Pari réparateur » misent plutôt sur les nouvelles technologies et l’innovation. La sobriété constitue l’une des grandes problématiques mise en débat par les scénarios. Ceux basés sur une modification limitée des modes de vie actuels ont un impact retardé sur les émissions : ils reculent de cinq ans la date d’atteinte de la neutralité carbone. En cause, des incertitudes sur le temps nécessaire pour certaines technologies de captage de CO2 (indispensables dans les scénarios reposant sur la technologie) d’arriver à maturité. Or la trajectoire compte autant que la date butoir de 2050 : seuls les deux premiers scénarios respectent les points de passage à 2030, correspondant aux objectifs fixés par l’Europe. En revanche, les scénarios basés sur la sobriété posent la question de leur acceptabilité sociale. D’un point de vue énergétique, l’ensemble des scénarios mènent à une baisse de la consommation. Si le secteur des transports est celui où la baisse de la consommation d’énergie est la plus importante, le secteur du bâtiment est également largement impacté. L’application de la RE2020 amène ainsi à une baisse de 50% de la demande en ciment, même dans un scénario tendanciel. Les scénarios privilégiant la sobriété s’appuient sur l’intensification d’usage, la réversibilité du bâti, une optimisation du bâti existant (ex : réappropriation des résidences secondaires en résidences principales) et une rénovation massive au niveau BBC (80% du parc de logement). Les scénarios s’appuyant sur les technologies proposent d’industrialiser la rénovation par préfabrication et d’avoir recours à la déconstruction / reconstruction pour une efficacité maximale du bâti. En termes d’usages, le recours à la domotique permet de mieux réguler les consommations d’énergie. Concernant le mix énergétique, la part de l’électricité s’accroît dans tous les scénarios (sans que la production totale d’électricité n’augmente nécessairement en valeur absolue). Les énergies fossiles disparaissent quasiment et les EnR hors réseau (ex : géothermie) se développent fortement. Le gaz, nécessaire sur certains usages, garde une place dans tous les scénarios, sous forme de biogaz. Les carburants liquides sont également en forte augmentation, notamment dans les scénarios basés sur les technologies, où la biomasse est exploitée à des fins énergétiques (et concurrence son usage en tant que puits de carbone biologique).

Que retenir de l’ensemble de ces travaux et scénarios ?

Tous interpellent sur la nécessité de diminuer notre consommation finale d’énergie, d’augmenter la part de l’électricité dans le mix énergétique et de développer fortement les énergies renouvelables. En revanche, les trajectoires possibles sont diverses et il s’agit de trouver celle qui pourra concilier juste usage de la technologie (pour améliorer l’efficacité énergétique par exemple), acceptabilité sociale et diminution rapide des émissions. Il sera probablement nécessaire de s’appuyer sur l’ensemble des leviers identifiés dans les scénarios : modification des modes de vie, relocalisation des productions aujourd’hui fortement émettrices à l’étranger, optimisation des usages grâce à plus de partage et plus d’efficacité et progrès technologiques. Sur ce dernier point, en particulier, beaucoup d’espoirs reposent sur une révolution de l’hydrogène vert, notamment dans l’industrie et la mobilité lourde. En devenant un outil de stockage de l’énergie produite par les EnR, l’hydrogène permettrait d’optimiser la production de ces énergies intermittentes et le foncier utilisé pour les produire. Cela passe néanmoins par une amélioration des rendements de la production d’hydrogène et par une volonté d’investissement car cette technologie émergente reste coûteuse. A suivre…