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[Panorama Villes Durables] #2 Le concept des “villes éponges” en Chine

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Initié par le gouvernement chinois il y a presque 10 ans, le concept des “villes éponges” permet d’atténuer les effets des inondations dans les grandes villes et de recréer le cycle naturel de l’eau en milieu urbain. Ceci afin d’en optimiser la gestion globale, de la récupération à l’utilisation. 30 villes sont concernées par ces adaptations pour une meilleure résilience.
Un peu partout dans le monde, les villes, parfois devenues des métropoles et pour certaines des mégalopoles de plusieurs millions d’habitants, ont fait le choix du béton et de la pierre pour accélérer leur urbanisation et leur étalement. Le problème est que ces matériaux sont fortement imperméables. Ce que ces villes n’avaient pas anticipé, c’est qu’avec le changement climatique, les précipitations allaient gagner en intensité et les aléas climatiques devenir extrêmes. L’imperméabilisation des villes due à une artificialisation massive des sols, couplée à des systèmes de drainages dépassés et largement insuffisants, nous font assister depuis plusieurs années à des phénomènes de plus en plus fréquents de crues et d’inondations destructrices lors d’épisodes de fortes précipitations en milieu urbain. Le modèle urbain contraint par ailleurs grandement le cycle naturel de l’eau. Les eaux pluviales sont rejetées tant bien que mal plus loin en aval, généralement dans un fleuve ou l’océan. Elles ne s’infiltrent donc plus localement dans les sols afin de rejoindre les nappes phréatiques. Et c’est tout le paradoxe de ces métropoles qui ont grandement accru leur fragilité face aux inondations et qui subissent en même de plein fouet les périodes de sécheresse et les pénuries en eau potable. A cela s’ajoute le phénomène global de la montée des eaux, en particulier pour les villes côtières, et vous obtenez un triple danger pour le modèle urbain tel qu’on le connaît. La Chine est particulièrement vulnérable à ces 3 phénomènes. La revue Pour la Science a estimé qu’entre 2011 et 2014, 62% des villes du pays ont été inondées, entraînant 100 milliards de dollars de pertes économiques. Face à cette problématique globale de gestion de l’eau, le pays a décidé d’agir et d’investir massivement dans un nouveau modèle en 2014, celui des “Villes éponges”.

Améliorer la résilience urbaine

Au départ 16 villes ont été sélectionnées pour créer et mettre en place de vastes espaces perméables censés prendre le relais des réseaux traditionnels de drainage et de faire ainsi bénéficier aux villes des atouts d’un milieu naturel pour se protéger de ces phénomènes. Elles sont maintenant 30 à avoir appliqué ce modèle, dont Pékin, Shenzhen et Shanghai. L’objectif est ambitieux : faire en sorte que d’ici 2030, 80% des aires urbaines chinoises soient capables d’absorber et de réutiliser 70% des eaux de pluie torrentielles qui les touchent. A l’instar du modèle des water sensitive cities australiennes, le concept des villes éponges vise à rendre les zones urbaines résilientes et adaptées aux épisodes de fortes pluies, mais également face aux épisodes de sécheresse et de manque d’eau par un retour à la nature permettant de rafraîchir les villes et de sécuriser leur approvisionnement en eau. L’idée est donc d’appliquer le principe de l’éponge à un milieu fortement urbanisé : pouvoir absorber, capter et stocker les eaux pluviales. Mais aussi savoir les réutiliser une fois assainies et dépolluées. Pour cela il a fallu grandement adapter les villes en cessant d’utiliser des matériaux imperméables et en facilitant l’infiltration dans les sols par des matériaux poreux. Bien entendu cela va de pair avec une politique de création d’espaces verts, de zones humides, de jardins pluviaux, de dispositifs de bio-rétention, de murs et de toits végétalisés, de réservoirs sous les parcs permettant d’accueillir les eaux pluviales en cas de surplus et d’éviter la saturation des systèmes de drainage. Les matériaux poreux sont ainsi systématisés pour les routes et les trottoirs. Les bacs de rétentions sont placés stratégiquement sous les parcs ou les aires de jeux par exemple. Et c’est ainsi que tout un réseau de gestion des eaux pluviales se met en place permettant de stocker ou d’acheminer l’eau selon les besoins, et donc d’accompagner le cycle naturel de l’eau plutôt que de le détourner.

Redonner une place centrale au cycle naturel de l’eau

A Hebi, l’association d’asphalte poreux avec un système d’alvéoles souterraines a permis de développer une récupération des eaux pluviales sur plusieurs dizaines de kilomètres carrés. Cette eau peut être stockée et utilisée plus tard. Pareil dans le quartier de Lingang de Shanghai – ville particulièrement exposée à la montée des eaux en raison de sa position côtière – où le modèle de ville éponge est testé : les rues y sont construites avec des matériaux perméables, les terres-pleins centraux remplis de plantes, des réservoirs ont été installés sous les jardins. Un lac artificiel a même vu le jour pour jouer le rôle de réserve. Le programme des Villes Eponges a également permis à la ville de Wuhan de recréer de grandes zones humides et des lacs en dehors de la ville, permettant de faire tampon lors d’épisodes de fortes pluies. En effet, une centaine de lacs environnants avaient été bouchés afin de permettre l’étalement urbain. Ces travaux colossaux ont cependant deux freins majeurs : leur temps de développement long et qui oblige à faire des choix structurels importants ville par ville (évidemment, la tâche est encore plus compliquée lorsqu’il s’agit de quartiers anciens et dont la conception va être une contrainte à la renaturation), et leur coût faramineux. Le chiffrage complet du programme en Chine est complexe à établir, mais si les villes souhaitent atteindre les objectifs on parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros et jusqu’à 200 milliards d’euros d’après la Banque Pictet. Sans compter que le gouvernement chinois ne prend que 20% à sa charge en subventions publiques. Pour les municipalités, le reste est à chercher auprès du secteur privé. On observe pourtant que le modèle fait des émules, puisque les villes de New York, Montréal et Toronto s’en inspirent. La ville de Berlin elle a déjà mis en place une série de mesures en vue de devenir une ville éponges, et serait prête à investir massivement (10 milliards d’euros) pour continuer les adaptations. Si jusqu’ici les premiers résultats constatés en Chine étaient plutôt encourageants, le pays a connu un été cauchemar avec notamment le passage du typhon Doksuri qui a entrainé des inondations records à Pékin et dans la province voisine de Hebei. Les réservoirs ont joué leur rôle, mais les intempéries ont été d’une rare violence. Cela montre à quel point il faut continuer à adapter les villes et investir davantage dans ces mécanismes.