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Quelle gouvernance pour des villes conviviales ?

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A la demande de Bouygues Construction et de La République des Hyper Voisins, six étudiants de l’École urbaine de Sciences Po Paris ont travaillé pendant 9 mois sur la fabrique de la convivialité dans les territoires urbains. Le chemin d’exploration proposé est de créer les conditions favorables à la convivialité en professionnalisant une forme d’action citoyenne à l’échelle micro-locale. Découvrez leurs recommandations sur les formes de gouvernance les plus propices à faire émerger un territoire convivial, s’appuyant sur onze terrains d’enquête en France et en Suisse.
convivialité en ville

La convivialité comme bien commun et actif économique

300. C’est le nombre d’objets de convivialité, concrets ou immatériels, recensés dans un Carnet d’inspiration pour des espaces publics conviviaux par l’Institut Paris Région. Un banc, un commerce mobile, un parcours artistique, une zone piétons… La liste des moyens de mettre en œuvre des espaces publics générateurs de bien-être et de convivialité est longue. Mais qu’est-ce exactement que la convivialité ? Au sens d’Ivan Illitch, penseur et auteur de l’essai La convivialité, cette dernière est pensée comme les « interrelations continues, autonomes et créatives entre les personnes, et entre celles-ci et leur environnement ». La convivialité se structure donc tout autant autour d’une spatialité qui fait territoire qu’autour des liens tissés entre les individus et des actions collectives mises en œuvre. Stimuler et dynamiser les interactions entre des personnes qui vivent dans un même territoire créé une valeur, une richesse. En cela, la convivialité peut être considérée comme un bien commun, voire comme un actif économique. Ce bien commun ne concerne pas seulement les ressources gérées collectivement mais aussi la capacité de vivre ensemble collectivement. Les externalités positives de la convivialité sont nombreuses. La connaissance et la reconnaissance entre voisins renforce un climat de sécurité, d’aide et de bienveillance entre les habitants et est propice à l’émergence de solidarités de proximité. La convivialité a également un impact financier positif : en augmentant la fréquentation des espaces publics, elle soutient la mise en place de nouvelles activités lucratives parfois accompagnées de création d’emplois et permet la diminution des dégradations de l’espace public.  

De nouvelles formes de « professionnalisation » de la convivialité

Si l’action collective est le terreau de la convivialité, c’est sur les leviers de création et de soutien de cette dernière que s’attarde l’étude. Les villes n’ont pas attendu les institutions pour générer de la convivialité. Les commerces de proximité ou les concierges en sont des figures historiques, maillons essentiels dans la vitalité d’un quartier, au même titre que le monde associatif et les réseaux de bénévoles. Mais aujourd’hui, le besoin criant de convivialité appelle le développement d’autres dispositifs. La crise du Covid-19 a démontré à quel point le capital social local était déterminant pour développer une forme de résilience. Durant les périodes de confinement, nombre d’initiatives ont vu le jour dans les territoires grâce à la mobilisation horizontale de la société civile, des élus de proximité et des acteurs économiques locaux. C’est en partie dans la capacité de l’ensemble des acteurs à se mobiliser collectivement et avec agilité sociale autour d’un objectif commun et dans la capacité à continuer de faire société que s’est organisée la réponse à ce temps hors du commun. Face à cette demande accrue, de nouvelles formes de professionnalisation émergent. Il s’agit de créer de la convivialité en top-down ou en bottom-up à travers une action citoyenne ou privée qui irrigue l’action publique. Cela nécessite une coopération entre tous les acteurs : collectivité, monde associatif, citoyens, acteurs privés.
A Rotterdam, depuis 2015, une « square manager » intervient en tant que gestionnaire et coordinatrice des installations et de la programmation pour la place de Schouwburgplein, en plein centre-ville. Son rôle est de prendre soin de la place en tant qu’espace public tout au long de l’année pour y encourager les rencontres et les interactions sociales. L’équipe travaille en collaboration étroite avec les institutions culturelles environnantes, les associations d’entreprises et d’habitants et la mairie. L’initiative est un réel succès et a transformé l’image de la place, qui faisait l’objet de nombreuses plaintes il y a quelques années. Des événements sportifs, culturels, citoyens s’y déroulent tout au long de l’année et l’équipe intervient également aux côtés de la mairie sur la conception de la place pour améliorer son fonctionnement. Depuis, la municipalité a sollicité les acteurs pour développer des programmes similaires dans d’autres places de la ville.
 

Former des « agents de convivialité »

C’est une approche similaire qui anime la République des Hyper-Voisins, co-commanditaire de l’étude. Depuis plusieurs années, l’association œuvre à développer la convivialité dans un quartier du 14ème arrondissement de Paris. Par le biais de nombreux dispositifs, elle invite les habitants à tisser des liens pour réveiller une convivialité endormie : repas géants dans la rue, végétalisation, création de filières de bio-déchets, appropriation de l’espace public grâce à la maîtrise d’usage. Mission réussie puisque les habitants affirment en plaisantant mettre deux fois plus de temps à faire leurs courses à présent qu’ils connaissent leurs voisins du quartier et discutent avec eux. La prochaine étape est de développer ce type de dispositifs dans d’autres quartiers et de former des agents de convivialité, les « amis du quartier, capables de coordonner l’ingénierie sociale liée à ces actions. Pour ce faire, la création d’une école de la proximité est en projet. Tout au long de l’étude, les étudiants ont guidé la mise en place de la « professionnalisation » de cette convivialité en identifiant la gouvernance la plus propice à faire émerger un territoire convivial, reposant sur une communauté habitante. Ce travail catégorise les réseaux d’acteurs soutenant le développement de cette convivialité par le biais de l’action citoyenne sur onze terrains d’enquête : université populaire de Grande-Synthe (59), Mon Voisin des Docks (Saint-Ouen), trois quartiers en Suisse  (Erlenmatt à Bâle, Eikenott à Gland et Eglantines à Morges), la Ressourcerie Créative à Paris, etc. Il identifie les leviers au processus de création et de développement de la convivialité, à la fois logistiques et liés à la participation citoyenne. Enfin, ce travail intègre des recommandations pour penser la professionnalisation d’un agent de convivialité, incluant un prototype de fiche de poste de ce type d’acteur, la définition des conditions favorables à son intervention, ainsi qu’un scénario prospectif de l’implantation réussie d’un agent de convivialité dans un quartier fictif. En conclusion, la convivialité est un instrument puissant pour concevoir l’espace public d’un quartier et peut en modifier considérablement le visage. Son développement nécessite la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui peut être facilitée par une politique de moyens qui conduit à une « professionnalisation » de la cohésion sociale en s’appuyant sur de nouvelles figures telles que l’ « agent de convivialité » ou l’ « ami du quartier ».